Orienter toute initiative de découvrabilité vers la production de données relève de la pensée magique selon laquelle la technologie est la solution à toute problématique, aussi systémique et complexe soit-elle.
Dans le domaine culturel plus particulièrement, ce solutionnisme est porté par l’espoir d’accroître la visibilité des offres afin d’en encourager la consommation. Ceci a pour conséquence que nous avons des projets numériques sans planification stratégique et dont la méthodologie de réalisation n’est pas adaptée au domaine de l’information.
À ceci s’ajoutent les mécanismes de découvrabilité mentionnés dans de nombreux documents, conférences et vidéos, sans être clairement expliqués. De quels systèmes ou applications parle-t-on? Comment fonctionnent-ils? Quels résultats peut-on en attendre? Mystère…
La méthodologie, talon d’Achille de la découvrabilité
La « découvrabilité » n’est un pas un enjeu de données, mais de maturité des connaissances sur le Web et les différents systèmes qui s’y trouvent. Il y a très peu d’expertise réelle, tant au sein des équipes de projet qu’au sein des ministères et responsables de programmes, sur des sujets comme le fonctionnement de Google, les enjeux du choix d’une norme ou d’un modèle de données et les méthodologies de conception de structures d’information.
On n’a pas encore invité les spécialistes des diverses plateformes, technologies et sciences de l’information à constituer et actualiser une base de connaissances partagées sur ces questions. Par ailleurs, les enjeux de découvrabilité et les nouveaux milieux documentaires ne sont toujours pas des sujets d’intérêt pour le Congrès des professionnel.le.s de l’information.
En conséquence, la méthodologie est le talon d’Achille de la plupart des projets. Lorsque ceux-ci débutent avec des maquettes de pages web ou des interfaces de recherche, on s’interroge sur la prédominance de l’apparence visuelle sur la conception des structures d’information.
Sans une étape préalable d’analyse stratégique, la production de données comme solution-miracle de visibilité est un projet risqué. Celui-ci comporte de nombreux angles morts tels que les préférences et comportements des publics, les changements démographiques ou une vue d’ensemble des productions ou offres d‘un secteur donné. Surtout, l’absence d’objectifs concrets et mesurables comme l’augmentation de la vente de billets ou l’acquisition d’une nouvelle clientèle est un problème récurrent: comment être sûr d’améliorer ce qui n’a pas d’abord été mesuré?
Au final, tout miser sur la production de données ne compense pas l’obsolescence de modèles industriels et commerciaux pré-numériques, ni ne prend en compte la transformation des usages.
Halte au solutionnisme!
Bien identifier un problème ou définir un besoin est un projet en soi. Cette étape essentielle est pourtant souvent escamotée, faute de budget et d’échéancier adéquat. Il est alors difficile de cerner le périmètre du projet, en écartant des options non nécessaires tout en tenant compte des contraintes de l’organisation.
Avant de se lancer dans la production de données et métadonnées, il faut donc impérativement se questionner sur le but du projet afin de l’aiguiller vers l’environnement technologique approprié et, enfin, avoir une bonne visibilité sur le type de travail à réaliser dans cet environnement. Par exemple, la création d’une base de données, d‘éléments de Wikidata et d’un jeu de données ouvertes relèvent de technologies distinctes qui n’ont pas de langages et de structures communes. Ce sont donc des types de projet différents ne visant pas les mêmes objectifs et ne faisant pas appel aux mêmes expertises.
Et mes données, alors ?!?
Dans le prochain article, nous verrons où les données et métadonnées sont vraiment utiles et comment des contenus bien rédigés sont souvent plus efficaces en terme de découvrabilité.
Merci Josée. Je ne peux qu’être d’accord avec toi, comme c’est souvent le cas, notamment sur la question de la nécessité de collectivement monter en compétences sur ces questions, d’avoir le courage de le faire. Il faut aussi, c’est vrai, éviter de succomber aux solutions miracles, d’où ta mise en garde face au solutionnisme technologique. Mais, bien que la découvrabilité ne soit pas un enjeu de données au sens strict, il ne faut pas oublier le rôle que celles-ci jouent malgré tout. Il faut aussi réaliser l’existence de déterminismes techniques, il faut le considérer, et l’usage des métadonnées en fait partie. Il importe donc réfléchir avant de faire n’importe quoi, mais néanmoins, il existe parfois des solutions. Au plaisir ! JR
Je te remercie pour ton commentaire, Jean-Robert. Tu as tout à fait raison en ce qui concerne le rôle que peuvent jouer les données. C’est d’ailleurs le sujet de mon prochain billet.
Au plaisir d’une prochaine conversation.
J
Je suis président d’une organisation dont la mission est de produire des contenus destinés aux enfants (musique, spectacles, éditions musicales et émissions de télévision). J’ai mis le thème des “données” et des “métadonnées” au cœur de notre plan d’action. Nous agissons principalement avec la numérisation de nos processus: système ERP, amélioration du paiement de redevances via l’automatisation, etc..
Mais vous nommez précisément mon sentiment: « Par où commencer » lorsqu’il s’agit de découvrabilité? Quelle est la stratégie globale pour assurer une rentabilité de ces actions à moyen terme — parce que je comprends que les bénéfices à court terme des ces actions sont moins grands que sur le long terme. Je dois vous avouer que pour un non-initié, si une subvention n’appuie pas la démarche, c’est un pas difficile à franchir que d’intégrer des pratiques de façon efficace à l’heure où les revenus, surtout en musique — et surtout en jeunesse — ne sont pas au rendez vous.
Bref, je suis vos écrits avec intérêt et je tente d’en tirer le maximum de valeur pour l’entreprise et les artistes que nous représentons.
S’éduquer. J’imagine que c’est une belle première étape. J’ai hâte de lire la suite!
Bonjour Daniel,
Je vous remercie d’avoir partagé votre commentaire sous ce billet. Il est important de réinvestir d’autres espaces que ceux dont nous décrions l’instrumentalisation de l’information pour des usages qui n’ont rien à voir avec l’accès à la culture et à la connaissance.
Votre observation est juste: « si une subvention n’appuie pas la démarche, c’est un pas difficile à franchir que d’intégrer des pratiques de façon efficace ». En effet, à la lecture des programmes existants, il semble que les données soient une solution magique pour se passer des principes élémentaires de gestion. Nous ne pourrions imaginer mettre un produit en vente, aussi bien décrit qu’il soit, et attendre que des consommateurs se rendent sur la plateforme en espérant qu’un algorithme travaille pour nous (erreur: l’algo se colle au profil de l’utilisateur.trice). C’est pourtant ce qui se passe si nous n’expliquons pas que les données sont des moyens à utiliser, avec d’autres, pour des activités de marketing coordonnées. Par exemple, des données permettent d’organiser et trier des offres, selon les conditions de l’espace numérique choisi, mais elles ne sont pas utiles pour convaincre et séduire.
La meilleure façon d’intégrer de nouvelles pratiques dans vos processus serait, selon les objectifs de votre stratégie de marketing, de choisir les espaces numériques où sont vos publics et où vous souhaitez favoriser la découverte, puis d’identifier les conditions qui sont nécessaires, sur ces espaces, pour que votre information soit utilisée de façon optimale. Ainsi, il serait possible de désigner, dans votre organisation, les différentes fonctions responsables d’activités qui vont du choix de l’information (données, rédaction) à sa publication sur les espaces numériques privilégiés.
J’espère avoir apporté un peu plus de clarté au sujet de la découvrablité en la ramenant dans le contexte de la stratégie d’entreprise.
Amitiés
Ça rejoint tellement notre dernière conversation. Merci pour ce billet, je partage dans mes communautés.
Merci, chère Annie, pour ce retour.
Je crois que ton approche, fondée sur une démarche collective, est beaucoup plus constructive que la promotion d’une solution mécaniste et sans esprit critique. Le meilleur que l’on puisse offrir, à des individus et organismes, n’est pas une recette unique, mais des méthodes de travail collaboratif pour comprendre où on est, vers quoi on veut tendre et comment on va y arriver, en connaissant nos forces, nos contraintes et notre environnement.
Au plaisir