Le journalisme d’enquête et le graphe de connaissances de Google

Google annonce un changement à son algorithme afin de promouvoir le journalisme d’enquête.

Mais ceci servira surtout à améliorer la quantité de données contenues dans son graphe de connaissances (knowledge graph) et d’étendre son influence sur ce que nous voyons sur le web.

Diagramme: Intégration d'information collectée sur le web dans le graphe de connaissances de Google.
Intégration d’information collectée sur le web dans le graphe de connaissances de Google. Source: SEO by the Sea.

Bill Slawski est un spécialiste de l’optimisation pour moteurs de recherche. Sa formation de juriste lui permet de porte une attention particulière aux  demandes de brevet. Il en commentait  une, récemment, qui fait référence au développement du graphe de connaissances (knowledge graph) de Google.  Elle concerne l’intégration, dans son graphe,  d’information collectée sur le web, afin d’accroître la masse de données :

The patent points out at one place, that human evaluators may review additions to a knowledge graph. It is interesting seeing how it can use sources such as news sources to add new entities and facts about those entities.

Comme chez les autres entreprises dont le modèle d’affaires repose sur la donnée, une grande partie du traitement de l’information  et de la production de données résulte du travail non rémunéré d’amateurs et passionnés:

How can you teach an algorithm to understand all these distinctions? Gingras said Google is doing so through its Quality Raters, a global network of more than 10,000 individuals who offer feedback on Google’s search results, which in turn is used to improve the company’s search algorithms.

Google says it will do more to prioritize original reporting in search

Ceci sert-il les intérêts du journalisme ? Probablement, mais il est trop tôt pour le vérifier. Cela sert surtout à développer une connaissance très poussée de nos rapports à l’information et de permettre à d’autres d’influencer notre vision du monde et de fabriquer des opinions.  S’informer sur le scandale Facebook – Cambridge Analytica devrait nous faire prendre la mesure de l’intervention de  ces systèmes dans notre développement social, notamment, la fabrication d’opinions et d’antagonismes.

Allons-nous vers une dette ou un déficit numérique ?

Dans un billet sur les enjeux des métadonnées, en culture, j’avais fait référence à la dette numérique. Fred Cavazza emploie cette expression pour qualifier les conséquences qui pèsent sur les organismes qui tardent à s’adapter adéquatement au changement.

Dette ou déficit numérique ? Cette question soulevée par un commentaire de Catalina Briceno, sur LinkedIn, est bien autre chose qu’un effet de style:

« notre dette numérique s’accroît »… j’espère que tu as raison. J’espère c’est bel et bien « une dette ». Cela sous-entendrait qu’il y a une capacité de « retour à niveau »… j’espère que ce n’est pas carrément un déficit… une perte pure… d’opportunités, de connaissances et de capacité d’action.

"Mind the gap", mise en garde en bordure du quai d'une gare ferroviaire.
Elliott Brown [CC BY 2.0], Wikimedia Commons
L’observation de Catalina met au jour un ensemble de questions qui témoignent de la complexité d’une problématique qui fait pression sur la culture et les médias depuis plus de 10 ans. Pour preuve, le sujet de ce billet sur le renouvellement du journalisme au secours des médias, n’a pas pris de rides.

Face aux pressions du changement, nous produisons des rapports et nous consultons.  Cependant, nous revenons invariablement aux solutions techniques et réglementaires qui font l’effet de la énième mise à jour d’un logiciel. Un logiciel qui ne serait plus ergonomique,  et  qui serait de moins en moins compatible avec de nouveaux usages et environnements.

Catalina faisait suite à ma publication, sur LinkedIn, concernant l’exploitation des données par les GAFA. Je souhaitais alors étayer un commentaire que j’avais partagé en appui à une perspective de Stéphane Ricoul, concernant la crise des médias.  Nous avons de trop rares occasions d’échanger des points de vue, hors de nos milieux respectifs. Je consigne ici, ma réponse à Catalina et les préoccupations qui accompagnent la plupart de mes missions.

Catalina, ce sera très probablement un déficit si nous persistons à financer des solutions de marketing (tablette, portail) pour résoudre des problématiques qui sont complexes et tranversales.

Nous nous contentons actuellement d’imiter les outils des entreprises qui, elles, ont investi dans du capital intellectuel et mis des années à développer d’autres modes de fonctionnement et de création de valeur.  Comment être aussi efficaces et attrayants (même pour nous, investisseurs boursiers), alors que notre compréhension du phénomène numérique est parcellaire et, trop souvent superficielle ?

Nous tentons de préserver une structure industrielle et des fonctionnements qui ne sont plus alignés sur nos propres ambitions économiques et sociales.  Parvenir, un jour, à encaisser les taxes des GAFAM, ne compensera pas l’absence de vision et la perte de connaissances.

Nos propres concurrences internes jouent contre nous, alors que nous faisons face à des entités unicéphales. Il faudrait élever le niveau de connaissances et élaborer une vision globale (et non sectorielle) et des actions transversales sur l’ensemble de nos activités.

Nous risquons, effectivement de faire face à un déficit numérique. Nous vivons dans une économie qui repose sur notre capacité à consommer toujours plus, et donc, à nous endetter. La dette (ou le déficit) numérique devient-elle, à nous yeux, aussi normale et naturelle que l’usage d’une carte de crédit pour contenter notre désir de bien-être ?

 

À quelles questions répondent vos (méta)données ?

Question: Meaning of life, the universe and everything, Douglas Adams
Capture d’écran « gVIM with 42 help », Wikimedia Commons

Mise à jour 2019-09-07: ajout, à la fin du billet, d’information concernant les cas d’usage, suite à un commentaire exprimé sur Facebook.

Produire et réutiliser des données descriptives, ce n’est pas travailler sur une solution, mais sur des questions.

Quelle est la finalité du projet ?

Comment savoir si les données d’une organisation ou d’un collectif ont un fort potentiel informationnel ? Comment ces données peuvent-elles répondre à des questions qui demandent de faire des liens entre des entités et d’interpréter des relations ?  Si ces données ne sont pas suffisamment riches en information, comment les lier avec celles provenant d’autres sources, ouvertes et privées, pour les valoriser ?

La finalité de projets de données est de générer l’information la plus riche afin de répondre à des questions à la satisfaction des publics cibles. Toute initiative devrait donc débuter par un diagnostic de la disponibilité et de la qualité des données.  Cependant, comment effectuer un tel exercice sans savoir à quels besoins répondront-elles ou, plus exactement, à quelles questions devront-elles répondre ?

Trouver les bonnes questions: la dimension cognitive des projets

La dimension cognitive des projets numériques se rapporte à la sélection, l’organisation et le traitement de l’information. Ces activités doivent réunir des perspectives et compétences diversifiées: de la connaissance du domaine et des publics à la modélisation de l’information.  Il s’agit d’un travail collaboratif qui doit être réalisé en amont de la conception technique. Cette étape est rarement bien planifiée et réalisée, faute de budget, ressources ou méthode de travail. Pourtant, elle constitue le coeur du projet.  C’est, de plus, un processus qui permet d’améliorer la littératie numérique et développer des pratiques collaboratives au sein d’une organisation et d’un partenariat.

Interroger les données: repenser les vieilles interfaces 

Les vieux modèles d’interfaces de recherche influencent notre conception des questions que nous posons aux ensembles de données.  Elles forcent les utilisateurs à formuler leurs questions en fonction de critères limités. Ces interfaces pré web qui sont encore utilisées pour donner accès au contenu de catalogues en ligne  sont nettement déclassées par la recherche en langage naturel.

Cocher des critères comme la date, l’auteur, le sujet ou le titre ont assez peu à voir avec les comportements et besoins des utilisateurs.  L’indexation des  contenus et le paramétrage du moteur de recherche des sites sont généralement peu élaborés.  Par exemple, explorer les archives du journal Le Devoir est plus intéressant à partir de l’interface de Google. Il suffit de limiter la recherche au site et d’ajouter des expressions ou, même, des questions , comme ceci: « site:https://www.ledevoir.com/  causes du changement climatique ».  On peut alors explorer les textes, images et vidéos.  Les traces de nos usages ne serviront cependant pas les intérêts du média, mais le  modèle économique du moteur de recherche.

Remplacer les cas d’usage par une approche narrative

Avant de développer de nouvelles plateformes, il y aurait place à amélioration pour répondre aux  besoins d’information spécifiques des publics et accompagner le développement de services à valeur ajoutée.

Mais trouver les bonnes questions à poser requiert une  connaissance des publics cibles et, pourquoi pas, leur participation. Pour cela, il convient de remplacer l’approche technologique (cas d’utilisation) par une approche narrative, plus concrète et plus proche du phénomène informationnel (lier des données pour raconter une histoire).

When we frame information about an object we focus attention on certain aspects of that object or its history. It’s just like choosing a new frame for a painting, which then highlights different qualities of the artwork. Framing is less about the information we feature in a label and more about how we present that information.

Le sujet de cet article dépasse le domaine muséal: What makes a great museum label?

Exploiter des données plus riches de sens

Notre relation aux contenus culturels est de l’ordre du ressenti, du goût et des intérêts. Cependant, nos bases de données et catalogues fournissent une information factuelle, organisée de façon uniforme et anodine, bien loin de la diversité des cultures et expériences humaines.  D’autres métadonnées pourraient jouer un rôle aussi important que les métadonnées classiques de type catégorie-titre-auteur, pour la personnalisation des services et pour l’analyse des données d’usage.

Sous la direction d’Yvon Lemay et Anne Klein, de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Archives et création: nouvelles perspectives en archivistique regroupe des publications de recherche sur l’exploitation des archives dans le domaine culturel (arts visuels, littérature, cinéma, musique, arts de la scène, arts textiles et Web). Cette publication devrait être lue par quiconque souhaite réfléchir sur la mise en réseaux des données sur la culture.

Indexation – Émotions – Archives, la recherche menée par Laure Guitard, se rapporte plus spécifiquement à l’enrichissement des modèles de données par la représentation de la charge émotionnelle des contenus et objets (page 151).

l’indexation – professionnelle et collaborative – pourrait permettre d’inclure l’émotion dans la description des archives afin que cette dernière soit reconnue comme une clé d’accès aux documents

Je souligne, avec cette référence, l’importance de la recherche académique et des regards croisés entre domaines d’étude pour apporter de la profondeur à des idées. Les monocultures sectorielle,  disciplinaire et technologique nuisent à nos ambitions numériques.

Renforcer le volet cognitif des projets

Il faut revoir des modèles d’indexation de contenu, ou de production de métadonnées. Disposer de données plus riches permet d’analyser la relation de l’utilisateur au contenu, de mieux connaître les publics,  de développer des algorithmes de recommandation et, finalement, d’imaginer d’autres façons de valoriser des catalogues, fonds et répertoires.

Nous ne devons pas nous laisser démonter par la complexité des projets ou, pire: brûler de précieuses ressources en « coupant les coins ronds». Nous pouvons y faire face en mettant en commun des ressources et des expertises diversifiées et en élaborant d’autres méthodes de travail. Donnons-nous du temps, mais commençons dès maintenant.

Ajout d’information concernant les cas d’usage et l’approche narrative, à la suite d’une très bonne question posée par Frédéric Julien, sur Facebook.

Extrait du commentaire de Frédéric : 

Je ne suis par contre pas certain de comprendre ce que tu entends par « remplacer les cas d’usage par une approche narrative ». Au cours de la dernière année, j’ai eu la précieuse occasion de participer à quelques exercices de consultation auprès de créateurs et usagers de données dans le cas du projet 3R. Ce que j’y entendu a énormément contribué à ma réflexion sur les cas d’usage dans le cadre de l’initiative ANL [Un avenir numérique lié]. Ces deux méthodologies ne me semblent pas du en contradiction l’une avec l’autre (ni avec ce que tu décris dans ton billet… à moins que certains détails ne m’échappent).

Réponse:

/…/ une approche narrative permet de réaliser des cas d’usage en les mettant en contexte (le « comment »). J’emploie un terme fort, « remplacer »,  pour attirer l’attention sur une étape du projet sur laquelle se fondent beaucoup d’objectifs (et d’espoirs). C’est une étape cruciale pour la mise en relation de l’information avec des utilisateurs. Elle est trop souvent escamotée ou sert uniquement à construire des exemples de requêtes.
Suivre une approche narrative ne signifie pas raconter une histoire, mais analyser des comportements, des usages, des interfaces et des structures de données pour produire des exemples qui vont démontrer l’utilité ou la valeur ajoutée du système.
Cependant, les cas d’usage réalisés de façon habituelle (comme en informatique), portent sur le « quoi » (les données, les étiquettes à mettre) alors que les éléments de la recherche et de la découverte ne sont plus les mêmes:

  • Interrogation de données liées conçue comme des requêtes sur des BD tabulaires (où est le potentiel du liage de données?)
  • Travail de terrain très rarement réalisé avec des utilisateurs finaux, dont des non-usagers (ex: non-visiteurs de musées) et des non-amateurs de certains type d’offres (ex: films québécois).
  • Confusion entre parcours de recherche et de découverte (qu’est-ce que chercher? découvrir? comment cela se produit-il dans des contextes spécifiques, avec certains supports et chez certains types d’utilisateurs ?)

 

Produire des données : entre outils de marketing et bases de connaissances

La découverte optimisée pour les moteurs de recherche est-elle la  seule solution pour accroître la consommation de contenus culturels locaux ?  Sommes-nous à la recherche de nouveaux outils de marketing ou souhaitons-nous développer des bases de connaissances communes ?  Les résultats attendus à court terme, par nos programmes et partenaires  sectoriels, pèsent sur les choix qui orientent nos actions.

Google, je cherche un bon film à regarder

 

La découverte optimisée pour les moteurs de recherche

Google poursuit son évolution pour devenir notre principale interface d’accès à la connaissance. La tendance zéro clic est une  forme de désintermédiation des répertoires qui est similaire à celle que connaissent les sites des médias. Il y a quelques années que les réseaux de veille prédisent la transition des moteurs de recherche vers des moteurs de réponse.

Alors, est-il stratégique de baliser nos pages web avec des métadonnées (aussi appelées données structurées) pour que des machines comprennent et utilisent nos contenus dans leurs fiches de réponse ?

Améliorer le potentiel d’une information d’être repérée et interprétée par un agent automatisé est une bonne pratique à intégrer dans toute conception web, au même titre que le référencement de site web. Mais se contenter de baliser des pages  pour les seules fins de marketing et de visibilité n’est pas stratégique. Voici pourquoi:

  • Architecture de l’information conçue pour servir des intérêts économiques et culturels spécifiques.
  • Aucun contrôle sur le développement de la base de connaissances.
  • Uniformité de la présentation de l’information, quel que soit le pays ou la culture.
  • Modèle et vocabulaire descriptifs simples, mais adaptés à des offres commerciales (une bibliothèque publique est une entreprise locale).
  • Le moteur de recherche n’utilise que certains éléments du vocabulaire Schema.org et modifie son traitement des balises au gré de ses objectifs commerciaux (voir ce billet sur les mythes et réalité de la découvrabilité).

Des données pour générer de la connaissance

Les plans de marketing et de promotion ont des effets à court terme, mais ponctuels, sur la découverte. Cependant, nous devons parallèlement développer les expertises nécessaires pour concevoir de nouveaux systèmes de mise en valeur des offres culturelles et de recommandation qui répondent à nos propres objectifs. Ne pas également prioriser cette avenue, c’est accumuler une dette numérique et  accroître notre dépendance envers les plateformes et tout promoteur de solution.

Comme je l’ai souligné en conclusion d’un billet rédigé lors de recherches sur la découvrabilité et la « knowledge card » de Google, « , apprendre à documenter des contenus sous  forme de données est  une étape  vers le dévelopement de « nos propres outils de découverte, de recommandation et de reconnaissance de ceux qui ont contribué à la création et à la production d’œuvres. »

Pour cela, il faut élaborer collectivement nos propres stratégies pour faire connaître le contenu de répertoires et  rejoindre de nouveaux publics. Nous serions, alors, en mesure de concevoir des moyens  non intrusifs pour collecter l’information qui permet de comprendre la consommation culturelle.

Adopter une méthode de travail pour une réflexion stratégique

Concevoir et réaliser des projets autour de données liées (ouvertes ou non) demande un long temps de réflexion et d’échanges de connaissances entre des acteurs qui ont des perspectives différentes. L’initiative de la Cinémathèque québécoise peut être citée comme un excellent exemple de transformation organisationnelle par l’adoption d’une nouvelle méthode de travail.  Marina Gallet pilote ce projet qui vise à formaliser les savoirs communs du cinéma en données ouvertes et liées.  Elle a gracieusement partagé cette expérience lors de la dernière édition du Colloque sur le web sémantique.

Représentation de la diversité culturelle et linguistique

Il existe de nombreuses façons de décrire les oeuvres d’un album de musique ou un spectacle de danse. Pour représenter ces descriptions sous forme de données, il existe des modèles et vocabulaires pour différentes missions et utilisateurs.  Une part grandissante de ces vocabulaires est en données ouvertes et liées. Ces descriptions ne sont pas toujours structurées ou conformes aux standards du web, mais leur diversité est essentielle à la richesse de l’information. Il est vital que les vocabulaires utilisés pour décrire des offres et des contenus soient en français pour que la francophonie soit présente dans le web des données et qu’elle soit prise en compte par les systèmes intelligents.

Le Réseau canadien d’information sur le patrimoine annonçait ce printemps, la réalisation de la version française de référentiels en données ouvertes et liées. Philippe Michon, analyse pour le RCIP, explique comment ces référentiels essentiels au patrimoine culturel seront rendus disponibles en données ouvertes et liées.

Recherche augmentée: découverte selon les goût et l’expérience recherchée

Il faut cesser de reproduire des  interfaces et modes d’accès aux répertoires qui sont dépassés. On ne peut cependant améliorer la découverte sans investir le temps et les efforts nécessaires pour sortir de nos vieilles habitudes de conception.

Nos interfaces de recherche sont devenues obsolètes dès l’arrivée du champ unique des premiers moteurs de recherche. Nos stratégies de marketing de contenu pour le référencement de pages web  aident les moteurs de recherche à répondre à des questions, mais  effacent les spécificités en uniformisant l’architecture de l’information.

L’information qui décrit nos productions culturelles et artistiques est trop souvent limitée à des données factuelles. Il faut annoter des descriptions avec des attributs et caractéristiques riches et orientés vers divers publics et usages. Des outils d’analyse et de recommandation peuvent ainsi fournir de l’information ayant une plus grande valeur. Il ne faudrait pas espérer refiler ce travail à des intelligences artificielles: l’indexation automatique ne produira pas nécessairement des métadonnées utiles et pertinentes pour une stratégie de valorisation. De plus, il ne faut pas sous estimer la valeur que l’expérience humaine (éditorialisation, sélection, critique, mise en contexte) apporte à des services qui jouent un rôle prescripteur.

Soutenir le dévelopement de bases de données en graphes

La mise en valeur de répertoires et collections, ainsi que des actifs informationnels (textes, images, sons) d’organisations ne devrait plus reposer sur des bases de données classiques.  Les bases de données en graphes permettent de raisonner sur des données et de générer de la connaissance , en faisant des liens, à l’image de la pensée humaine:

Quelle est le parfum de glace préféré des personnes [qui] dégustent régulièrement des expresso, mais [qui] détestent les choux de Bruxelles ? Une base de donnée Graph peut vous le dire. Comment ? Avec des données de qualité, les bases de données Graph permettent de modéliser les données et de les stocker de la manière dont nous pensons et raisonnons dans le monde réel.

Ceci est tiré d’un bon article de vulgarisation sur les bases de données en graphe.

Choisir des méthodes de travail adaptées aux projets collectifs

Pour qu’un écosystème diversifié de connaissances (multidisciplinaire, multi acteurs) soit durable, il doit reposer sur la distribution des fonctions de production et de réutilisation des données entre des partenaires.  Il faut aussi réunir des initiatives collectives dans une démarche où le développement de connaissances et l’expérimentation ne sont pas relégués au second plan par des intérêts individuels ou commerciaux. Enfin, il faut élaborer et adopter de nouvelles méthodes de travail pour des projets collectifs.

Je reviendrai bientôt sur les éléments nécessaire pour la gestion participative d’une base de connaissances commune.

Architectures et bases de connaissances

Définir les finalités et les modalités des projets de liage de données est un long cheminement qui demande des apprentissages, des efforts concertés et du temps. Nos programmes devraient  être revus.  Mettre en place les conditions de réussite d’un projet collectif est un projet en soi. Il faut tenir compte d’un cadre de formation, d’une nouvelle méthode de travail et d’une progression dans la durée. Exiger des résultats à court terme oriente les projets vers des « solutions » et laisse peu de place à la remise en question des habitudes.

Nos initiatives doivent être conjuguées pour élaborer une architecture commune  de la connaissance.  Parce qu’elle sort du cadre de nos actions habituelles, c’est une avenue qui offre plus de potentiel, à plusieurs titres, que des stratégies de visibilité et de marketing.

Solution technologique pour problématiques complexes

Lego Color Bricks par Alan Chia
Alan Chia [CC BY-SA 2.0], Wikimedia Commons
Imiter des géants de l’économie numérique en développant une plateforme peut-il apporter des solutions aux problématiques complexes de la diffusion de contenus francophones dans une industrie traversée par de profonds changements ?

Tout récemment, une solution simple à une problématique complexe a refait surface dans le milieu culturel canadien.

Ottawa investi 14,6 millions dans une nouvelle plateforme de diffusion de contenus francophones, Le Devoir, 7 août 2019.

Mettre en avant une « solution » technologique permet trop souvent d’éviter d’épineux questionnements. Cependant, alors que les règles du jeu et les usages changent, nous ne devrions pas nous soustraire à un examen des conditions de création et de production qui sont soutenues par nos législations et programmes. Nous finissons par maintenir, tant bien que mal, des modèles qui fonctionnent de moins en moins.

Ce ne sont pas des plateformes numériques qui ont permis à Netflix et compagnie de bouleverser l’industrie. C’est d’avoir compris le potentiel du Web et pensé autrement l’accès, la distribution et la production de contenus audiovisuels, en osant remettre en question les modèles établis. Revoir des modèles et des programmes qui demeurent encore très « télévision » demande évidemment beaucoup d’ouverture, de courage et de vision, mais il faut espérer que ce soit encore possible.

Une proposition de plateforme de diffusion de contenus culturels québécois, avait émergée, en 2017.  En évitant de remettre en question les façons de faire, ce type de projet ne fait que reporter les nécessaires adaptations qu’une industrie doit entreprendre pour durer et prospérer.

Il semble que nous ayons encore beaucoup de difficulté à appréhender les problématiques de la production et de la consommation de contenus culturels dans un monde numérique. Ne serait-il pas temps d’adopter, pour les analyser,  d’autres méthodes que celles qui nous font tomber le piège des solutions simplistes ?

Découvrabilité: mythes et réalité

Mise à jour 2019-05-24: ajout d’une question et sa référence, en conclusion.

La recherche du Graal de la découvrabilité, ce moyen qui accroîtra la «consommation» de nos produits culturels, peut-elle nous faire tomber dans le piège de la solution technologique qui nous fait oublier le problème ?

Solution simple et problématique complexe

Appelé « solutionnisme »  par l’historien des sciences Evgeny Morozov, c’est la proposition d’une solution technologique à un problème d’origine complexe. Ceci a pour effet d’escamoter les débats qui sont essentiels à la recherche de solutions pour le bien commun.

Moins de quatre ans se sont écoulés depuis le sommet qui a propulsé le terme « découvrabilité » jusque dans les hautes sphères décisionnelles, en culture. Depuis lors, des événements et programmes de financement de la culture ont intégré cette thématique ou certains de ces éléments les plus emblématiques, comme les métadonnées.

Je réalise, depuis quelques années, des ateliers sur la découvrabilité et les métadonnées, avec les Fonds Bell et Fonds indépendant de production. Une collaboration avec Marie-Ève Berlinger apporte à ma démarche exploratoire la dimension stratégique de la promotion numérique. C’est dans ce contexte que nous avions échangé sur les mythes de la découvrabilité, au cours du Forum avantage numérique.

Voici quelques constats qui se rapportent aux mythes qui sont spécifiques à la production de métadonnées pour les moteurs de recherche.

La découvrabilité n’est pas une finalité

La finalité d’un plan de découvrabilité est le fruit d’une réflexion stratégique. Celui-ci fournit les questions, le contexte et le cadre sans lesquels la découvrabilité n’aurait pas d’autre objectif que de fournir des données à un moteur de recherche. Ce sont les activités de marketing et de promotion qui produisent des résultats mesurables.

L’exploitation des métadonnées par les moteurs de recherche n’est qu’un des piliers de la découvrabilité. Cette approche a été illustrée dansle cadre d’un projet auquel je collabore, avec Véronique Marino et Andrée Harvey (La Cogency).

Illustration des 4 piliers de la découvrabilité, par LaCogency
Illustration tirée d’un projet de découvrabilité numérique de LaCogency.

Il est surprenant de constater que la stratégie et les moyens techniques ne sont pas intimement intégrés dans des projets numériques. Il y a une importante mise à jour des connaissances conceptuelles et techniques à opérer au sein des agences qui conseillent et accompagnent les organismes et entreprises.

La réponse n’est pas une page web

La fiche d’information qui constitue la réponse du moteur de recherche (à la droite de la liste de résultats) n’a pas pour objectif de diriger l’utilisateur vers une page web spécifique. Elle rassemble différents éléments d’information afin de fournir la réponse la plus précise possible. Il faut donc sortir de la logique de la liste de résultats et ne pas penser l’usage des métadonnées en fonction d’une destination.

Les liens entre les éléments d’information qui composent la fiche de réponse construisent des parcours qui orientent la recherche de l’utilisateur, sans nécessairement aboutir sur un site web. Par exemple, chercher une oeuvre de VanGogh, comme la Nuit étoilée, permet de mesurer la distance et les clics qui nous séparent du site web du Museum of Modern Art.

Ceci accroît la collecte des données d’usage qui permettent d’analyser l’intention, le comportement et la consommation de l’utilisateur. Plus les fonctions et choix offerts sont utiles, plus l’utilisateur demeure dans l’interface du moteur de recherche. Les agrégateurs d’information, qui font face à la désintermédiation de leur services, constateront probablement une diminution progressive du volume de données qui sont collectées sur leurs pages.

L’effet des métadonnées est dans la durée

Les résultats de l’utilisation de métadonnées pour décrire des contenus ne sont pas mesurables, au sens strict.

La qualité de l’encodage des métadonnées peut être validée, mais l’outil de test ne peut juger la logique de la description (interprétation des balises uniquement). Une validation que peu de producteurs de métadonnées semblent se donner la peine de faire. Il est également possible d’attribuer un indice de découvrabilité à  une information en fonction de critères spécifiques.

L’effet des métadonnées peut être observé sur un temps long. L’enrichissement progressif de la fiche de réponse illustre le potentiel qu’a une offre d’être liée par le moteur de recherche à d’autres informations. Il n’est pas possible de fournir des résulats immédiats et quantifiables, de façon similaire aux stratégies de référencement organique et payant de pages web.

Schema.org n’est pas le moteur de recherche

Schema est un vocabulaire commun de métadonnées qui a été développé pour les moteurs de recherche. Google recommande l’intégration des métadonnées sous forme de balises dans le code HTML d’une page afin de décrire l’offre qui y est présente. Cependant, les règles de l’algorithme évoluent au fil des expérimentations du moteur de recherche. Les métadonnées Schema qui étaient recommandées pour décrire des offres de type Movie, TVSeries et Music existent toujours. Cependant, Google n’en recommande plus l’usage et invite les entreprises concernées à faire une demande pour devenir des partenaires médias. Jusqu’où, alors, faut-il investir pour indexer une offre si le fonctionnement de l’algorithme et l’évolution du moteur de recherche nous sont inconnus ?

Une réflexion stratégique est nécessaire pour répondre à cette question. Deux avenues s’ouvrent:

1. Rendre des offres interprétables pour les moteurs de recherche (indexation) et appuyer la stratégie de référencement du site

  • Fournir uniquement les métadonnées Schema qui sont obligatoirement requises par le moteur de recherche. Ceci fait partie des bonnes pratiques du développement de sites web.
  • Tout comme pour le référencement, il est important d’assurer une veille sur l’évolution des fonctions analytiques et techniques des moteurs de recherche.

2. Valoriser les éléments d’un catalogue ou d’une collection en produisant un graphe de données liées

  • Fournir des métadonnées très riches selon le vocabulaire Schema.
  • Prévoir un important travail de modélisation (de préférence, par une personne compétente) afin de mettre en valeur des attributs et des liens, en travaillant sur les propriétés et les niveaux hiérarchiques.

Enjeux d’importance pour une stratégie numérique:

  • Aucun résultat garanti sur le traitement des métadonnées par le moteur de recherche. Ceci ne doit donc pas être l’unique objectif d’un tel projet.
  • Vocabulaire et modèle de représentation uniques: uniformisation de la représentation répondant aux objectifs d’affaires des moteurs de recherche.

Précision 2019-05-25: ce billet concerne uniquement le langage de balisage pour moteurs de recherche (métadonnées Schema) et non la représentation des connaissances avec les standards du web sémantique.

Pas de solution, mais quelques questions

L’uniformisation des modèles descriptifs est-elle un risque pour la diversité culturelle ?

La problématique de la «consommation culturelle» ne devrait-elle pas être abordée dans les deux sens ? En orientant nos projets sur la promotion,  nous oublions la relation au public et l’analyse de ce qui rend une oeuvre de création attractive. Ce rapport sur les pratiques culturelles numériques et plateformes participatives, piloté par la chercheuse Nathalie Casemajor, contient des pistes de réflexion à ne pas négliger, dont cellec-ci:

Les efforts de découvrabilité ne suffisent pas à eux seuls à créer l’appétence culturelle, et l’analyse des données consommatoires et comportementales n’est pas la panacée pour agir sur le développement des goûts et des dispositions culturelles en amont.

Nous devrions nous donner des moyens pour définir les modalités et conditions de la découvrabilité que nous souhaitons. Celles-ce se trouvent quelque part, entre le monde vu par une entreprise et celui que nous voyons au travers du prisme de nos cultures et sensibilités, d’une part,  et, d’autre part, entre lier des données pour un objectif de marketing et faire du lien social autour d’objectifs communs.

Moteur de recherche et désintermédiation

Il est possible de passer quelques heures, sur le web, à écouter de la musique et à croiser des artistes, connus et inconnus, en suivant des liens tissés par un algorithme. Et cela, sans quitter l’interface du moteur de recherche.

Désintermédiation des services d’information

Le moteur de rechercher devient une interface qui impose aux utilisateurs sa vision du monde, son algorithme, son modèle de classification et son régime de vérité: la popularité. Une uniformisation de la structure de l’information et des fonctions proposées qui efface la diversité des modèles et des expressions.

Service et application Google Voyages

Avec l’intégration de Google Voyages, grâce aux données collectées auprès des utilisateurs, il connaîtra les intérêts et comportements des voyageurs beaucoup mieux que les organisations touristiques locales et deviendra un partenaire priviliégé des entreprises touristiques. Celles-ci fournissent déjà, par le biais de Google Mon entreprise, les métadonnées qui permettent de lier et classifier les données, en mode hyperlocal. Face à une très probable désintermédiation, les associations touristiques devront mettre l’accent sur une organisation de l’information et des expériences que le moteur ne propose pas.

Nul doute que  cette nouveauté accroîtra l’intérêt pour les technologies de liage de données, tel que cette conférence sur les graphes de données, dans le domaine du tourisme.

Données d’usage et usage des données: une étude et un souhait

Comment encadrer l’exploitation des données des internautes canadiens sur les plateformes de diffusion de contenus culturels alors que nous peinons à comprendre leur fonctionnement ?

Comprendre ce qu’il se passe

À titre d’exemple,  contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas nos données qui ont le plus de valeur, c’est ce qu’en font les plateformes. L’analyse des données issues de nos interactions sociales et de notre utilisation des contenus leur permet de faire du ciblage comportemental et tout en développant une meilleure compréhension des produits et services à concevoir. Plus les données qui décrivent des contenus sont riches et détaillées, plus il devient alors possible d’identifier des caractéristiques susceptibles d’expliquer la relation entre l’utilisateur et le contenu. Pour cette raison, le croisement des données personnelles d’acheteurs de billets de spectacle avec une description d’offre limitée à un titre et une catégorie apportera peu d’éclairage sur les goûts, la motivation ou l’expérience recherchée.

Croisement de données descriptives et données d'usage.

C’est donc en pensant au besoin, pour les différents acteurs concernés, de développer une compréhension commune des enjeux que Destiny Tchehouali et moi avons rédigé une étude, commanditée par la Coalition pour la culture et les médias (CCM). Professeur et chercheur en communication internationale, à l’UQAM, Destiny est président du conseil d’administration d’ISOC Québec, organisme dont je fais également partie à titre d’administratrice.

Intitulée « Données d’usage et usage des données à l’ère des plateformes », cette étude à été réalisée dans le contexte de l’examen du cadre législatif de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Elle dresse un état des lieux des principaux enjeux et défis liés à l’accès, à l’utilisation et à la gouvernance des données d’usages des plateformes de diffusion culturelle. Pour conclure, nous avons dégagé des pistes de recommandations pour un meilleur encadrement de l’utilisation des données:

  • Souveraineté numérique et responsabilité en matière d’accès et de collecte des données d’intérêt public
  • Concurrence, innovation et accès aux services
  • Neutralité d’Internet
  • Découvrabilité du contenu canadien et promotion de la diversité des expressions culturelles

Mieux apprendre un sujet complexe

Participer à cette étude m’a permis de constater, une fois de plus, la nécessité,  pour tous les acteurs du domaine culturel et tous ceux qui participent à l’élaboration de politiques publiques, de maîtriser des connaissances qui sont fondamentales pour rattraper notre retard numérique. Je ne fais pas référence à des outils et usages qui peuvent être enseignés au cours de sessions d’information. Je fais plutôt le souhait d’un programme avec une approche intégrée des volets stratégiques, technologiques, cognitifs et organisationnels  de l’information dans un monde numérique.

Définir numérique, données et «IA» est encore un défi

Glossaire, sciences de l'information
Cned-PA [CC BY-SA 4.0], Wikimedia Commons
‘absence de références communes pour une diversité d’acteurs a très probablement un effet négatif sur l’impact et la portée des initiatives numériques.  Elle ne favorise pas, non plus,  de débats interdisciplinaires critiques sur les enjeux de société.  Nous devrions investir davantage dans une meilleure compréhension commune des concepts afin d’être mieux préparés à travailler ensemble pour faire face à des problématiques complexes. Voici quelques pistes pour éclairer notre compréhension:

De quoi le numérique est-il le nom ?

Il y a eu «nouvelles technologies», «nouveaux médias» (suivi de l’abandon progressif de l’adjectif), «virtuel» (bien que l’environnement et les usages numériques soient bien réels), puis, «numérique» (en opposition à «analogique»). Mais de quoi ce concept flou à saveur culturelle et sociale est-il le nom ?

Voici un texte qui pourrait nous aider à discerner les caractéristiques qui sont spécifiquement numériques dans les modèles de production et de circulation des contenus.

Nous sommes obligés de prendre en compte le fait que l’on ne communique pas seulement sur le web: on organise sa journée, on achète des produits, on gère ses comptes en banque, on met en place des manifestations contre le gouvernement, on s’informe, on joue, on éprouve des émotions.
Voilà pourquoi le numérique n’est pas seulement une technique de reproduction qui s’oppose à l’analogique, mais il devient une véritable culture, avec des enjeux sociaux, politiques et éthiques fondamentaux et qu’il est urgent d’analyser et de prendre en compte.

Pour une définition du numérique, Marcello Vitali-Rosati.

Littératie de la donnée: de statistique à statactivisme

La littératie de la donnée est trop souvent restreinte aux capacités numériques, statistiques et techniques nécessaires à  la lecture à à l’exploitation de jeux de données. Cette définition réduit notre capacité à questionner la fabrication des données (elles ne sont jamais neutres), les méthodologies et politiques auxquelles elles sont soumises, ainsi que les pratiques sociales que les bases de données reflètent.

Gaining a sense of the diversity of actors involved in the production of digital data (and their interests, which may not align with the providers of infrastructures that they use) is crucial when assessing not only the representational capacities of digital data but also its performative character and role in shaping collective life.

Jonathan Gray, Carolin Gerlitz, Liliana Bounegru,  Data Infrastructure Literacy.

Intelligence artificielle: sphères technologique et cognitive

J’éviterai d’employer le terme galvaudé d’intelligence artificielle et m’en tiendrai, comme le premier des deux experts [Yann LeCun] à l’expression « science des données », l’intelligence reste une notion encore largement énigmatique aujourd’hui, comme le répète dans toutes ses conférences le second expert [Stéphane Mallat]. Pour apporter mon grain de sel au débat, je tenterai d’y appliquer une approche issue des sciences de l’information pour revenir à A. Desrosières en conclusion.

Jean-Michel Salaün, La science des données en quête du « su ».

Compétences spécifiques aux données: entre savoir et pratique

Or, nous sommes loin d’être tous égaux dans la manipulation des données : dans la compréhension de statistiques, dans la prise en main d’un fichier tableur un peu costaud, dans le bidouillage d’une base de données, dans la compréhension des enjeux… Les compétences requises mêlent à la fois un savoir geek (informatique), expert (statistique), critique (sciences humaines – travailler les corrélations), parfois juridique…

Amandine Brugière, Y a-t-il des compétences « Data » spécifiques?

Projets de données: quel impact sur la transition numérique en culture ?

Salle de réunion

Dans la foulée des programmes de financement en culture, rares sont les propositions qui ne s’appuient pas sur la production ou l’exploitation de données. Nous devrions nous réjouir de la multiplication de telles initiatives car elles témoignent de la transformation progressive des modèles de pensée et des usages.

Cependant, deux constats témoignent d’une méconnaissance des conditions techniques et méthodologiques de cette transformation : de nouveaux concepts ne sont pas maîtrisés et la persistance de vieux modèles de gestion bloque la  transformation des organisations.

Voici des types de propositions, autour des données qui, sous certaines conditions, sont les plus susceptibles de favoriser la transition numérique des acteurs et des organismes culturels.

Schema.org: se représenter sous forme de métadonnées

Voici un exemple d’usage de ce que Google appelle « données structurées« . Il s’agit, en  fait, des métadonnées utilisées pour décrire des offres afin qu’elles soient interprétées par des systèmes automatisés. Le site de Patrick Watson,  musicien montréalais, contient les métadonnées décrivant les lieux , dates et salles où il se produit en concert.  Google proposera ses représentations lors de recherches sur l’artiste ou d’une simple question posée au moteur de recherche. Cette semaine, les utilisateurs géolocalisés près de certaines villes européennes se feront proposer des spectacles de M. Watson. Les offres apparaîtront en décembre pour les utilisateurs  du Québec et de l’Ontario.

Cette technique qui vise à améliorer la découvrabilité des offres est, à présent, incontournable. Rater le test des données structurées , pour un événement ou un produit culturel, c’est dépendre uniquement d’activités de promotion pour être proposé à un public. Et c’est également ne pas rentabiliser un investissement dans un site Internet.  Cependant, si celui-ci n’est plus une destination principale pour les internautes, il est un point de référence essentiel pour la validation de l’identité numérique.

Impact: culture de la donnée et identité numérique

Apprendre à indexer une offre (la représenter à l’aide de métadonnées) permet à chacun de développer sa littératie numérique ainsi qu’une culture de la donnée. Une bonne initiative viserait à former et à équiper les acteurs culturels afin qu’ils définissent eux-mêmes les données qui les concernent et qu’ils intègrent cette pratique à leurs processus et stratégies. Confier à d’autres le soin de décider de la façon de se représenter n’est ni formateur et ni stratégique.

Une description d’offres personnalisée et éloquente requiert cependant une bonne connaissance des principes d’indexation et de la structure logique du modèle Schema.org. Ce sont des compétences que des bibliothécaires et spécialistes de la documentation pourraient aider à développer auprès des acteurs du milieu culturel et artistique et des agences web.

Données ouvertes: développer une vision sur les données et leurs usages

Les données ouvertes ne constituent pas une technologie mais un moyen de mise à disposition de données selon des licences d’utilisation spécifiques. Libérer des données est, en soi, un projet auquel on doit accorder les ressources et le temps nécessaires pour produire un jeu de données répondant à des besoins. Les fichiers de données ouvertes peuvent être décrits à l’aide de métadonnées Schema. Ceci ne rend cependant pas  les données qui y sont contenues, accessibles et interprétables par des moteurs de recherche.

Impact: interdisciplinarité et orientation utilisateurs

La libération de données facilite la réutilisation des données de collections, catalogues ou fonds documentaires dans le cadre de la stratégie de visibilité et diffusion d’un organisme culturel. C’est un projet qui peut transformer des pratiques et des processus de façon durable, à la condition d’adopter une nouvelle méthode de travail collaboratif et de gouvernance de données. NordOuvert, un organisme a conçu une trousse d’outils maison pour données ouvertes pour le gouvernement canadien.

Données ouvertes et liées :  capitaliser sur des actifs numériques

Un musée pourrait décrire ses événements pour des moteurs de recherche, avec des métadonnées Schema.org. Mais serait-il pertinent de documenter ainsi tous les éléments d’une collection ? Cette question peut faire débat pour diverses raisons. Le modèle descriptif des moteurs de recherche répond à leurs propres objectifs stratégiques. Le risque encouru est l’effacement de la diversité des perspectives au profit d’un modèle uniforme et d’une certaine vision du monde. Il est également souhaitable, pour un état, de minimiser sa  dépendance à l’un des plus puissants acteurs du numérique pour l’organisation des données de la culture et du patrimoine. C’est pour ces raisons que plusieurs initiatives de données ouvertes et liées ont émergé depuis plusieurs années, à travers le monde.

Le terme « données ouvertes et liées » désigne des données qui sont ouvertes et qui peuvent être  interprétées et liées entre elles par des humains et des machines si elles sont exprimées et publiées selon les standards du web. Faire un projet de données liées est très exigeant, en ressources,  en expertises et, surtout, en temps. Ce sont des activités qui peuvent se dérouler sur plusieurs années afin de s’assurer de la cohérence des modèles de données et des liens.

Impact: responsabilisation et pouvoir d’agir sur les données

Malgré sa complexité, une véritable initiative de données ouvertes et liées peut amener une organisation à passer d’une gestion de projet centralisée à une véritable démarche collaborative, à l’interne et avec des partenaires. La transition numérique repose sur une profonde transformation des modes de gestion de l’information. Une solution issue d’un travail collaboratif a plus de chances de produire des résultats satisfaisants et durables pour tous qu’un projet classique. La production de données devient alors une responsabilité distribuée au sein d’une organisation et, par extension, au sein de son écosystème.

On ne saurait parler de production de données sans mentionner le nombre croissant d’initiatives s’appuyant sur l’infrastructure de Wikidata pour exposer des données ouvertes et liées.  Art Institute of Chicago est une des institutions ayant récemment ajouté les données de ses collections et plus de 52 000 images d’oeuvres en licence Creative Commons 0 (domaine public). Cette institution, comme tant d’autres, sort du périmètre habituel de sa stratégie de développement de publics pour expérimenter d’autres formes de circulation de l’information.

Transition: de projets à initiatives

Une initiative de données structurées, ouvertes ou liées constitue une opportunité pour une véritable transition numérique. Comme l’affirme un chercheur du MIT Media Lab dans un billet sur la nécessité de développer une littératie de la donnée: «You don’t need a data scientist, you need a data culture » :

  • Leadership: priorise et investit dans la collecte, la gestion et l’analyse de données / la production de connaissances.
  • Leadership: priorise une littératie de la donnée créative pour l’ensemble de l’entreprise, et pas seulement pour les technologies de l’information et la statistique.
  • Membres du personnel: encouragés et aidés à accéder aux données de l’organisation, à les combiner et à en tirer des conclusions.
  • Membres du personnel: savent reconnaître les données. Ils proposent des façons créatives pour utiliser les données de l’organisation afin de résoudre des problèmes, prendre des décisions et élaborer des narratifs. (traduction libre)

Ce ne sont donc ni une mise à niveau technologique, ni l’acquisition de nouveaux usages qui opéreront cette transformation.  C’est plutôt l’adoption de nouveaux modes de gestion de l’information: la décentralisation des prises de décision, l’abolition des silos organisationnels et la mise en commun de données. Pour demeurer pertinents dans un contexte numérique, nous ne pouvons faire autrement que d’expérimenter des méthodes collaboratives. Nous pouvons réussir à plusieurs ce qu’il est trop périlleux d’entreprendre individuellement. Soutenir des initiatives de données sans s’engager dans cette voie limiterait considérablement l’impact des investissements en culture.

Conseil en information numérique