Quelle est la probabilité que des données ouvertes et liées fassent découvrir une chose qu’on ne connait ou ne cherche pas? Le potentiel de découvrabilité d’une offre culturelle sous forme de données avec les technologies du Web sémantique est très faible. Pourtant, l’Appel de projets pour le développement culturel numérique dans la francophonie canadienne privilégie la « production et la diffusion la plus large possible de métadonnées (idéalement sous forme de données ouvertes et liées) ». Les arguments qui soutiennent cette orientation gagneraient à être partagés et discutés au sein de comités scientifiques et techniques.
Pour améliorer la découvrabilité sur Google, mieux vaut utiliser les données là où elles sont vraiment utiles et comprendre les différents types de résultats présentés par le moteur de recherche. En effet, de nouvelles fonctionnalités transforment peu à peu la liste de liens classiques en une interface qui fournit des réponses et des suggestions pour amener les internautes à préciser leurs intentions.
De façon générale, les initiatives visant à promouvoir une offre culturelle afin de favoriser sa « découvrabilité » concernent les moteurs de recherche comme Google ou des plateformes en ligne, existantes ou à concevoir. Ce sont cependant deux types de projets différents pour lesquels le type d’information à produire détermine des activités, compétences et ressources nécessaires différentes.
Google: rédiger et communiquer
Afin de fournir des réponses sous forme d’extraits, Google exploite le texte de pages HTML bien conçues et avec du bon contenu. Des données, même encodées sous forme de balises, n’ont pas les qualités d’interprétabilité et d’expressivité d’un texte. Ceci est d’autant plus important que, depuis plus d’une décennie, l’algorithme de Google est entré dans le domaine du langage humain. Alphabet, la compagnie propriétaire du moteur de recherche, expérimente Bard, une technologie similaire à ChatGPT.
Pour atteindre les objectifs d’une stratégie numérique, il y aurait donc intérêt à améliorer le contenu rédactionnel du site en tenant compte des intérêts des publics cibles et des principes d’optimisation. On ne répétera jamais assez que la connaissance du marché est la clé de la relation entre une offre culturelle et ses publics cibles.
Balises Schema.org et fonctionnalités de Google
Pour générer des aperçus détaillés liées à des offres culturelles, Google n’utilise que deux éléments du langage de balisage Schema.org: Book et Event.
La balise Book s’applique au livre, mais son usage est cependant limité aux fournisseurs proposant un large choix de livres. Cette préférence pour des intermédiaires commerciaux concerne aussi la deuxième balise, Event, qui décrit un événement. Il n’est généralement pas nécessaire de la produire car les données sont collectées auprès des billetteries et exploitées uniquement durant une courte période précédant la date du spectacle.
Un contenu rédactionnel riche et pérenne, sur un site bien conçu, est donc essentiel pour se démarquer et se positionner auprès de clientèles ciblées.
Plateformes: documenter et organiser
La production et l’utilisation de données et métadonnées convient à des projets qui ont pour objectif de faciliter la gestion et l’utilisation de l’information. En voici des exemples:
Ajouter des données dans Wikidata les rend découvrables et réutilisables sur cette plateforme. Celle-ci offre également la possibilité de partager et lier des données sans avoir à maîtriser l’architecture complexe du Web sémantique.
Des projets sont également réalisés en exploitant des données de Wikidata en complémentarité avec d’autres sources de données.
D’autres projets centrés sur les données concernent l’adoption d’un modèle de métadonnées pour des plateformes et des catalogues en ligne. Dans un domaine tel que la musique, par exemple, le référencement d’œuvres selon un modèle uniforme sert à harmoniser les données produites par différents acteurs de l’industrie utilisant les mêmes systèmes ou plateformes.
L’adoption de normes et de bonnes pratiques communes pour produire des données permet également d’optimiser des stratégies de promotion et de collecter de l’information plus précise sur la consommation.
On ne devrait cependant pas imposer un seul modèle de métadonnées pour tous les systèmes. Par exemple, une bibliothèque et une librairie ne décrivent pas un livre de la même façon en raison de leurs missions et activités spécifiques. De plus, un modèle est fait de choix et d’exclusions, ce qui soulève d’importants enjeux de diversité culturelle et de décolonisation.
Rédiger un texte ou produire des données?
La rédaction et les données répondent à des usages et des objectifs spécifiques. Un texte descriptif permet de communiquer de l’information de façon expressive, alors que des données permettent d’organiser et de réutiliser de l’information. Ces deux types de production numérique ne doivent pas être confondus :
Rédaction – Par exemple, votre projet repose sur la transmission d’information rédigée à l’intention de vos publics sur un site web, un réseau social, un média numérique ou Wikipédia (dans le respect de ses principes fondateurs).
Données et métadonnées – Par exemple, votre projet repose sur l’organisation, le tri et la représentation de l’information dans un catalogue en ligne, une base de données classique, des graphes de données liées avec les technologies du Web sémantique ou un projet comme Wikidata.
Rédaction
(Méta)données
Attention d’une audience
Réutilisation de l’information
Récit, narration
Entités, éléments factuels
Composition éditoriale
Structure logique
Créativité, style, ton
Standardisation
Signification indépendante du contexte
Signification dépendante du contexte
Tableau – Quel type de production choisir selon l’objectif ou l’usage
Un texte à propos d’une création musicale a un plus grand potentiel d’attention et de séduction que des données brutes, surtout pour une personne ne connaissant ni l’œuvre ni ses interprètes. Par conséquent, sur une page web, il aura beaucoup plus de valeur pour l’algorithme de Google, qui pourra l’analyser, le contextualiser et en utiliser les extraits répondant aux questions des utilisateurs.
Comme on l’a vu plus précédemment, les données jouent un rôle central dans une plateforme d’écoute en continu car elles permettent d’en enrichir les fonctionnalités (recherche, tri, recommandation, etc.). Elles ne jouent cependant pas celui d’une campagne de promotion.
En conclusion
Le problème de la découvrabilité, c’est de mettre la solution avant le diagnostic et la stratégie. C’est peut-être aussi, comme le dit Jean-Robert Bisaillon, le résultat du « récupérationnisme politique ». L’emballement qui pousse les individus et organisations à produire des données dans le but d’influencer les moteurs de recherche tient en effet du solutionnisme et nuit au développement d’expertise.
Il faut apprendre à la fois à rédiger pour des publics cibles et à prendre soin des données, là où elles sont utiles. Toute initiative de promotion d’offres culturelles doit reposer sur une réflexion stratégique et une méthodologie de projet spécifique. Également, il ne peut y avoir de progrès sans un suivi constant des technologies numériques que l’on envisage de mettre en œuvre afin de promouvoir l’accès à la connaissance et à la culture. Pour cela, il est nécessaire que les programmes de soutien prévoient des budgets et échéanciers conséquents.
Orienter toute initiative de découvrabilité vers la production de données relève de la pensée magique selon laquelle la technologie est la solution à toute problématique, aussi systémique et complexe soit-elle.
Dans le domaine culturel plus particulièrement, ce solutionnisme est porté par l’espoir d’accroître la visibilité des offres afin d’en encourager la consommation. Ceci a pour conséquence que nous avons des projets numériques sans planification stratégique et dont la méthodologie de réalisation n’est pas adaptée au domaine de l’information.
À ceci s’ajoutent les mécanismes de découvrabilité mentionnés dans de nombreux documents, conférences et vidéos, sans être clairement expliqués. De quels systèmes ou applications parle-t-on? Comment fonctionnent-ils? Quels résultats peut-on en attendre? Mystère…
La méthodologie, talon d’Achille de la découvrabilité
La « découvrabilité » n’est un pas un enjeu de données, mais de maturité des connaissances sur le Web et les différents systèmes qui s’y trouvent. Il y a très peu d’expertise réelle, tant au sein des équipes de projet qu’au sein des ministères et responsables de programmes, sur des sujets comme le fonctionnement de Google, les enjeux du choix d’une norme ou d’un modèle de données et les méthodologies de conception de structures d’information.
On n’a pas encore invité les spécialistes des diverses plateformes, technologies et sciences de l’information à constituer et actualiser une base de connaissances partagées sur ces questions. Par ailleurs, les enjeux de découvrabilité et les nouveaux milieux documentaires ne sont toujours pas des sujets d’intérêt pour le Congrès des professionnel.le.s de l’information.
En conséquence, la méthodologie est le talon d’Achille de la plupart des projets. Lorsque ceux-ci débutent avec des maquettes de pages web ou des interfaces de recherche, on s’interroge sur la prédominance de l’apparence visuelle sur la conception des structures d’information.
Sans une étape préalable d’analyse stratégique, la production de données comme solution-miracle de visibilité est un projet risqué. Celui-ci comporte de nombreux angles morts tels que les préférences et comportements des publics, les changements démographiques ou une vue d’ensemble des productions ou offres d‘un secteur donné. Surtout, l’absence d’objectifs concrets et mesurables comme l’augmentation de la vente de billets ou l’acquisition d’une nouvelle clientèle est un problème récurrent: comment être sûr d’améliorer ce qui n’a pas d’abord été mesuré?
Au final, tout miser sur la production de données ne compense pas l’obsolescence de modèles industriels et commerciaux pré-numériques, ni ne prend en compte la transformation des usages.
Halte au solutionnisme!
Bien identifier un problème ou définir un besoin est un projet en soi. Cette étape essentielle est pourtant souvent escamotée, faute de budget et d’échéancier adéquat. Il est alors difficile de cerner le périmètre du projet, en écartant des options non nécessaires tout en tenant compte des contraintes de l’organisation.
Avant de se lancer dans la production de données et métadonnées, il faut donc impérativement se questionner sur le but du projet afin de l’aiguiller vers l’environnement technologique approprié et, enfin, avoir une bonne visibilité sur le type de travail à réaliser dans cet environnement. Par exemple, la création d’une base de données, d‘éléments de Wikidata et d’un jeu de données ouvertes relèvent de technologies distinctes qui n’ont pas de langages et de structures communes. Ce sont donc des types de projet différents ne visant pas les mêmes objectifs et ne faisant pas appel aux mêmes expertises.
Et mes données, alors ?!?
Dans le prochain article, nous verrons où les données et métadonnées sont vraiment utiles et comment des contenus bien rédigés sont souvent plus efficaces en terme de découvrabilité.
Les formations, référentiels, trousses à outils, programmes de financement et experts en découvrabilité abondent. Tous peuvent se saisir des termes et notions qui circulent sans avoir une compréhension approfondie du Web. C’est, à mon avis, préoccupant car il n’existe pas de traité sur ce qu’il faut faire, dans le numérique, pour qu’une information soit vue. À la différence du génie ou de la médecine, par exemple, il n’y a pas de socle commun de connaissances pour les divers métiers du Web. Un projet numérique est souvent une tour de Babel de concepts. Que des non-spécialistes du numérique, comme des directions d’entreprises, soit dépassés n’est pas étonnant.
Voici une proposition pour améliorer les connaissances des personnes, organisations et instances gouvernementales sur un concept aussi vague que la découvrabilité. Tous les secteurs d’activité sont concernés, bien qu’à certains égards, je fais référence à la culture puisque le concept ne semble pas soulever autant d’intérêt dans d’autres domaines.
D’abord, mettre sur pied un comité scientifique et pédagogique qui sera chargé d’inventorier et sélectionner les connaissances qui serviront de base à la création du matériel. Il s’agit, plus concrètement d’élaborer un programme qui s’étend sur des domaines d’expertise différents et d’en assurer la mise à jour.
Ensuite, différents publics cibles doivent être identifiés en fonction de leurs profils professionnels, secteurs de pratique et pouvoir décisionnel.
Enfin, proposer des parcours de formation en fonction d’objectifs concrets afin de réinvestir les connaissances acquises: répondre à un besoin précis ou résoudre un problème. Il ne s’agit pas de former des spécialistes du traitement documentaire ou de l’analyse de données.
Voici quelques éléments de discussion pour un comité scientifique et pédagogique.
Solutionnisme technologique
Lorsque nos formations et projets sont focalisés sur des solutions technologiques, nous nous rendons encore plus dépendants de systèmes que nous ne maîtrisons pas. Nous n’activons pas les transformations que les organismes nés à l’ère numérique n’ont pas eu à faire. Comment dépasser la couche superficielle du problème pour investiguer davantage nos pratiques industrielles et sectorielles? Comment éviter le piège de l’outil providentiel pour développer une pensée stratégique adaptée à un monde numérique?
Découvrabilité: du concret
Les définitions habituelles de la découvrabilité sont vaguement théoriques et rarement mises en contexte. Ce terme est fréquemment invoqué en réponse aux problématiques liées à la visibilité et à l’appétit du public pour des offres culturelles. À quelles intentions ou objectifs fait-on référence? S’agit-il de contrôler ou d’influencer ce qui est présenté sur les écrans des utilisateurs?
Technologies: connaissances de base
Où se passe la découvrabilité? Plateformes de contenus sur abonnement, sites web, réseaux sociaux, bases de données, jeux de données ouvertes, bases de données en graphes: ces technologies ne sont pas des vases communicants. Il est essentiel d’identifier et décrire clairement les caractéristiques et usages spécifiques des différents environnements technologiques qui peuvent être ciblés par des initiatives numériques. Piloter un projet sans bien connaître les particularités des environnements concernés n’est scientifiquement pas acceptable.
Comprendre Google
L’histoire et les évolutions récentes des applications du moteurs sont suivies et documentées par différentes communautés d’experts. Le fonctionnement du moteur de recherche doit être expliqué afin d’aligner des initiatives vers des objectifs réalistes. Alors que la plupart des initiatives visent à influencer les réponses de Google, ce serait l’occasion de définir de bonnes méthodes de conception et pratiques pour le Web.
Pas de culture sans publics
Ou plus généralement: pas de ventes dans clientèles. Sur les plateformes et moteurs de recherche, données et algorithmes sont pourtant mis à profit pour connaître et servir les utilisateurs. Chaînon manquant de la plupart des projets, la connaissance des publics, leurs usages et leurs comportements, ne doit pas être limitée à la production de statistiques. Quelles connaissances et méthodologies appropriées proposer à des non-spécialistes du marketing?
Curiosité, médiation, sérendipité
Quelles autres entités et dispositifs favorisent la découverte sur des temps plus ou moins longs? Quels autres chemins pourrait-on emprunter si des résultats immédiats n’étaient pas exigés?
* * *
Il est temps d’avoir des conversations sur ces sujets afin de développer les parcours d’apprentissage qui manquent à l’émergence d’une force collective, sur le Web et les différents canaux numériques. Comment assurer la cohérence de programmes, initiatives et développement professionnel sans un tronc commun de connaissances? Comment pérenniser des activités de veille et de transfert? Comment concevoir des projets qui sont interdépendants et ont donc, plus d’incidence sur la société et l’économie? Il ne faudrait plus attendre pour élaborer un schéma des connaissances partagées par tous les acteurs du numérique et transversales à tous les secteurs d’activités.
Favoriser la découverte d’une offre pour atteindre un objectif c’est bien, mais dans quel environnement technologique? La réponse à cette question, rarement abordée, pourrait pourtant aiguiller certains projets ciblant les moteurs de recherche vers de meilleures pratiques de conception et de rédaction pour le Web plutôt que vers la création de métadonnées.
Recherchée: méthodologie de projet
Parmi les écueils qui constituent des risques pour la réussite d’un projet, j’ai déjà élaboré sur le but et le solutionnisme technologique. Le but (résultat mesurable) est fréquemment confondu avec les moyens (découvrabilité). L’énonciation d’un but fait partie d’un exercice stratégique. Celui-ci est escamoté, de même que l’identification des besoins, lorsque des moyens technologiques semblent apporter une réponse simple à une situation pourtant complexe.
Ces écueils pourraient être évités en adoptant une démarche de réalisation de projet qui débute avec une réflexion stratégique. Ce sujet devrait figurer au premier plan des différents coffres à outils proposés, en culture comme dans tous les domaines.
Voici à présent, un troisième écueil qui peut apporter son lot de problèmes: la méconnaissance d’un univers où se croisent, sans nécessairement se connecter, divers domaines d’expertise.
Ce que nous désignons généralement comme « le numérique » rassemble des environnements technologiques qui ont des langages, structures, normes et, surtout, des objectifs et usages bien spécifiques. Voici les environnements que l’on peut retrouver dans des projets
Web (pages)
Celui des moteurs de recherche: c’est à dire les sites et plateformes développés avec les standards du Web et et dont le contenu est accessible et indexable. Seul le contenu de type HTML est exploité pour répondre aux demandes des utilisateurs. Dans cet objectif, des métadonnées comme des identifiants internationaux (par exemple: ISNI) ou locaux (par exemple: numéros uniques d’œuvres) présentent beaucoup moins d’intérêt, pour les algorithmes, qu’une bonne description à la Wikipédia. Ces métadonnées seront, par contre, très importantes dans des environnements centrés sur les données, comme les trois suivants.
Celui des jardins clos, au contenu non accessible aux moteurs de recherche, car il n’est volontairement pas ouvert et conforme aux standards du Web. On y trouve les plateformes accessibles aux détenteurs de compte (payants ou gratuit), comme les réseaux sociaux et les sites d’écoute musicale.
Web sémantique (données ouvertes et liées)
Il s’agit d’une extension du Web qui utilise des technologies, standards et infrastructures différentes de celles du Web auquel nos navigateurs nous permettent d’accéder. Ce type de contenu qui n’est pas du HTML ne peut être indexé, interprété et utilisé par les moteurs de recherche à titre de résultat.
Contribuer à Wikidata peut intéresser des initiatives de données ouvertes et liées qui ne souhaiteraient pas développer leurs propres infrastructure et modèle de représentation.
Base de données relationnelles
Même si celle-ci peut servir à alimenter des pages web, une base données n’est pas « dans le Web » et donc, inaccessible à des moteurs de recherche comme Google. Par contre, un bon modèle de données et des métadonnées appropriées à la mission et aux utilisateurs cibles participent à la conception d’interfaces de recherche et de découverte.
Données ouvertes
Libérer des données est, en soi, un projet comprenant plusieurs étapes importantes afin de rendre celles-ci disponibles sous forme de fichier(s). Ce type de démarche est réalisé en amont d’un projet de données ouvertes et liées. Si des métadonnées permettent de décrire un jeu de données, les données elles-mêmes ne font pas partie du contenu exploitable par les moteurs de recherche.
Quel est l’environnement concerné?
Il est important de bien cerner le problème, ou d’identifier et prioriser les besoins, avant de développer une stratégie et de se pencher sur les outils technologiques. Ceci réduira considérablement les risques et coûts associés à des choix qui ne pas alignés sur le résultat attendu, notamment en raison de l’incompatibilité de plateformes, langages, applications et usages.
Voici, des types de projets qui correspondent aux environnements technologiques présentés précédemment:
Site web
Promotion et visibilité de l’information par l’entremise de moteurs de recherche commerciaux.
Données ouvertes
Réutilisation de données pour la recherche ou le développement d’applications.
Données ouvertes et liées
Réutilisation de données avec les technologies du Web sémantique: bases de connaissances interconnectées, fonctions avancées d’analyse et de recherche.
Base de données relationnelle
Gestion et utilisation de données, comme celles d’un catalogue d’enregistrements musicaux, par exemple, par des applications.
Il est possible que plus d’un environnement technologique soit concerné par un projet. Dans ce cas, il est impératif de rechercher des expertises, planifier des budgets et gérer des projets qui seront spécifiques à chacun des environnements.
* * *
Il est plus que temps d’améliorer la littératie numérique de tous les acteurs participant à des projets. Et plus précisément, connaître les particularités des différents environnements technologiques. C’est une mise à niveau qui devrait logiquement concerner les bailleurs de fonds, les prestataires de services de conception et les spécialistes des sciences de l’information. Dans ce contexte, on devrait se demander s’il est souhaitable que les acteurs du domaine culturel soient les seuls à faire des apprentissages essentiels à la transformation numérique de tout l’écosystème.
Le Guide des bonnes pratiques: découvrabilité et données en culture, récemment publié par le Ministère de la Culture et des Communications du Québec, est un bel effort de synthèse. Il faut cependant plus qu’un exercice de rédaction pour transmettre à des non-initiés des connaissances sur des systèmes dont le fonctionnement et les interdépendances sont complexes, changeants et trop souvent, incompris.
Wikipédia et Wikidata: des vases communicants?
Dans ce document, plusieurs affirmations concernant Wikipédia et Wikidata, ainsi que leur utilisation par les moteurs de recherche risquent cependant d’être incorrectement interprétées.
lI est aussi dans l’intérêt d’une ou d’un artiste, peu importe son domaine, de fournir les informations à Wikidata à propos, par exemple, de ses œuvres et de son parcours sous forme de données pour alimenter Wikipédia.
Cette injonction (page 15) est un raccourci qui donne à croire qu’il suffit de saisir ou verser des données dans Wikidata pour alimenter Wikipédia. Or, il serait plus exact de dire que pour chaque article créé dans Wikipédia, un élément Wikidata existe, mais l’inverse n’est pas possible (des éléments Wikidata n’ont pas d’articles correspondants dans Wikipédia). Par exemple, pour l’article sur le chorégraphe Jean-Pierre Perreault, on a l’élément Q3169633. Pour documenter davantage l’élément, dans Wikidata, des libellés ont été ajoutés (par exemple: nom, prénom, occupation, identifiant ISNI).
Le contenu, la donnée et les moteurs de recherche
Il est important de saisir la différence et les rôles spécifiques que peuvent jouer le contenu (article) et la donnée (élément) dans des projets visant à améliorer la repérabilité et la découverte.
Les moteurs de recherche pourront par la suite les mettre en valeur lors de recherches d’internautes, notamment dans les cartes enrichies qui apparaissent souvent lorsqu’une recherche est réalisée sur Google.
Ici (page 15), encore, cette affirmation pourrait laisser croire que les moteurs de recherche puisent de l’information à même ces bases de connaissances. Ce raccourci ne tient pas compte du rôle central des sites web pour des moteurs de recherche dont le fonctionnement repose sur l’indexation de documents (pages web) et l’analyse du contenu (texte).
Par exemple, la recherche « Jean-Pierre Perreault » sur Google produit une fiche d’information qui résulte de la reconnaissance d’entités nommées dans des pages web. L’ambiguïté résultant d’une homonymie entre le chorégraphe et un professeur n’a pas été résolue pour la recherche d’images.
Par contre, la recherche « qui est Jean-Pierre Perreault » fait appel à l’analyse du texte contenu dans les pages web qui ont été indexées par le moteur de recherche. Le résultat est enrichi, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une réponse fournie directement à partir d’un texte extrait d’un site web dont la structure et le contenu réunissent les conditions d’autorité, expertise et fiabilité.
Base de connaissances pour la reconnaissance d’entités
Voici un autre raccourci (page 16) qui peut laisser croire que verser des données dans Wikidata est une solution au manque de visibilité des contenus culturels québécois sur le Web. Ceci peut avoir pour conséquence l’appauvrissement graduel de la valeur informationnelle des sites web, alors qu’il faudrait plutôt guider et soutenir l’adoption de meilleures pratiques pour leur conception.
Comme il a été mentionné précédemment, en saisissant vos données dans Wikidata, vous vous assurez que les moteurs de recherche peuvent les trouver//
Pour un moteur comme Google, une base de connaissances externe comme Wikidata a pour fonction de faciliter la reconnaissance d’entités nommées (personnes, lieux, œuvres, événements, etc.) et d’aider le moteur de recherche à réduire toute ambiguïté. Le rôle d’une telle base de connaissances est illustré dans le schéma ci-dessous (numéro 200). Il s’agit d’une illustration fournie dans une demande de brevet déposée par Google en 2012. Ce document, ainsi que d’autres brevets, sont très bien commentés par l’expert Bill Slawski. La compagnie développait alors sa propre base d’entités nommées (numéro 150) qui, selon les observateurs, était probablement issue de Freebase dont l’acquisition a été complétée par Google en 2014.
Projets wiki: contribuer pour de bonnes raisons
Ces précisions n’ont pas pour objet de réduire l’enthousiasme des acteurs culturels et des autres citoyens pour les projets de la Fondation Wikimedia. Bien au contraire. Elles visent d’abord, à faire connaître un peu mieux ces systèmes auxquels sont souvent attribués des fonctionnements qui ne sont pas démontrés… mais porteurs de tant d’espérances. Leur objectif principal est d’encourager des usages et des initiatives moins orientés vers le marketing et la promotion, mais qui correspondent davantage à la mission et aux valeurs de Wikimedia et à un Web universel, libre de droit, ouvert et décentralisé.
Il est temps d’apporter un peu de clarté dans le méli-mélo de concepts qui ne sont pas très bien maîtrisés. Voici une petite mise au point qui pourrait être bénéfique pour les promoteurs d’initiatives numériques, ainsi que les organisations qui les financent.
Quel est le but?
Il arrive qu’un projet n’ait pas de but précisément déterminé: on ne sait pas quel problème il résoudra ou quels seront les résultats tangibles. Par exemple, « authentifier une œuvre » est un moyen et non, une finalité.
Il importe de définir un but précis et tangible pour mobiliser des membres et des partenaires. Ceci est aussi essentiel pour déterminer l’espace numérique concerné par le projet et, ainsi, identifier les technologies et structures sémantiques appropriées.
Quel type d’espace numérique?
Il arrive également qu’un projet de données numériques rassemble des concepts et technologies qui appartiennent à des espaces numériques différents. Ces espaces sont:
Web des moteurs de recherche
Le Web que nous connaissons est ce qu’on peut appeler le « Web des documents » parce que des pages sont reliées par des réseaux de liens hypertextes. Dans cet espace, le texte contenu dans chaque page est indexé et exploité par des moteurs de recherche.
Wikipédia, tout comme Wikidata, est une des bases de connaissances utilisées par Google pour valider une entité qui a été reconnue sur un site web. Rédiger un article sur Wikipédia est une excellente façon d’enrichir l’encyclopédie avec des éléments historiques et culturels québécois. On peut également s’inspirer de la structure d’un article pour améliorer le contenu d’une page web et ainsi, le rendre utile pour les moteurs de recherche.
Google exploite les balises Schema.org uniquement pour certains types de contenus afin de produire des résultats enrichis, sans toutefois en garantir l’utilisation. Les consignes d’intégration des balises démontrent l’intérêt du moteur de recherche pour le développement d’ententes commerciales (données) avec certains opérateurs et intermédiaires :
Musique: Google ne recommande pas de modèle; des ententes ont été conclues avec les plateformes musicales.
Livre: le moteur précise que son modèle cible uniquement les « distributeurs à gros volume ».
Événement: les balises ne sont pas nécessaires si un site tiers (ex: billetterie, Facebook, Eventbrite) est utilisé.
Attention: les balises sont sans effet si le contenu de la page ne répond pas aux exigences de qualité de Google. Il est donc plus efficace d’améliorer la valeur informative des sites web d’acteurs culturels dans un domaine ou territoire donné que d’insérer des balises.
2. Web des données
Le Web sémantique, appelé aussi « Web des données », est une extension du Web des documents. Des entités ou des ressources sont représentées par des triplets de données (entité – relation – entité). Pour les moteurs de recherche, il n’y a pas de pages à indexer, ni de contenu à exploiter dans cet espace. C’est là que la conception ou, préférablement, l’adaptation d’ontologies de domaine peut être pertinente.
Verser des données dans Wikidata permet d’enrichir une base de connaissances mondiales. Il est alors possible de lier des données de différentes sources sans avoir à investir dans le développement d’infrastructures et de modèles conceptuels pour profiter des avantages du web sémantique.
Mais ceci ne rend pas une offre culturelle plus visible. Les moteurs de recherche indexent le contenu de sites web et peuvent utiliser des ressources comme Wikidata pour valider la reconnaissance d’entités.
3. Plateforme web « privée »
Des plateformes web, qui offrent des contenus et les réseaux sociaux, forment des espaces numériques privés: elles ont leurs langages et règles de représentation et d’utilisation de l’information. Les moteurs de recherche ne peuvent en indexer le contenu, d’autant que plusieurs ne sont accessibles que sur abonnement.
4. Base de données classique
Un autre type d’espace numérique très important est constitué des bases de données. Elles peuvent être interrogées à partir de sites web et également, alimenter le contenu de catalogue en ligne. Mais n’étant pas conçues avec les technologies et standards du Web, celle-ci ne sont pas accessibles aux moteurs de recherche.
5. Et les données ouvertes?
Les données ouvertes ne rendent pas ce qu’elles décrivent plus visible ou repérable pour les moteurs de recherche. Libérer des données permet à ceux qui les utilisent, de créer de la valeur sous forme de services, produits ou nouvelles connaissances. Des données ouvertes sont également nécessaires pour des initiatives de données ouvertes et liées avec les technologies du web sémantique.
Les données ou le contenu?
Les données et le contenu jouent des rôles différent pour la découverte et la repérabilité des offres culturelles selon l’espace numérique visé.
L’amélioration de la repérabilité d’offres culturelles sur le web, pour les moteurs de recherche, repose principalement sur la lisibilité de la structure d’un site web et de son contenu. L’analyse du langage qui permet la reconnaissance d’entités et l’interprétation d’un texte ne se fait pas sur des données, mais du contenu.
Il est donc important de rappeler que les moteurs de recherche indexent du texte. Le contenu leur fournit le contexte et la diversité de termes et de liens nécessaires pour alimenter leurs modèles d’organisation des connaissances. Ceux-ci sont appelés des graphes de connaissances. Google n’utilise pas d’autre modèle que le sien.
Identifiants: dans quels espaces?
Les données sont exploitées par une grande variété de systèmes de gestion de bases de données et, également, sous forme de données liées (ouvertes ou non), dans le web sémantique. C’est dans ces types d’espaces numériques que des identifiants uniques sous forme de données sont les plus utiles. Bien que ces derniers puissent enrichir la biographie d’une artiste ou la fiche technique d’une œuvre, sur un site web, ils ne peuvent être interprétés par les moteurs de recherche.
Découvrabilité: ça commence sur un site web
Votre site web devrait être la source d’information numérique la plus complète et la plus fiable à votre sujet. Pour différencier une offre culturelle, il faut miser sur une description plus riche que de simples informations factuelles. En utilisant des hyperliens pour fournir plus d’information, vous signalez des entités importantes qui aident les moteurs à contextualiser votre offre. En prime: un contenu bien structuré vous permettra de mieux interpréter les statistiques d’usage de votre site.
Les moteurs de recherche améliorent sans cesse leur capacité à interpréter le contenu afin de l’utiliser pour répondre à des questions. Nous devons réinvestir le domaine du langage sur ces espaces numériques privilégiés que sont nos sites web.
Depuis peu, en culture, on retrouve un volet « découvrabilité » dans la plupart des appels à projets. S’agit-il d’une application technologique, de techniques de référencement ou d’une campagne de promotion numérique? L’absence d’explications concrètes et de description des compétences requises met les demandeurs (ainsi que les bailleurs de fonds!) dans une situation où ils ne disposent pas des guides nécessaires pour savoir ce qu’il faut faire, ni quels résultats escompter.
Un projet dans un projet
Assurer la repérabilité d’une nouvelle création ou d’une nouvelle offre est un projet à part entière, avec ses ressources, ses objectifs et ses réalisations. Il ne s’agit pas de mettre en commun ce que chacun aura produit de son côté, mais de produire des contributions s’alimentant les unes des autres. C’est pourquoi, dans nos velléités de transformation numérique, le travail en silo est un frein à la réussite de nos projets.
Les mots qui font des connexions
C’est l’information fournie à propos des choses qui est repérable — pas les choses en elles-mêmes. Cette distinction est extrêmement importante puisque c’est le choix des éléments descriptifs qui retient l’attention d’audiences cibles et qui permet aux moteurs de recherche de connecter des offres à des intentions et des profils d’utilisateurs.
Sous le couvert nébuleux de la découvrabilité, il existe en réalité des pratiques et des standards permettant de structurer l’information pour le Web afin d’en assurer la repérabilité, l’accessibilité et l’interopérabilité.
Si votre objectif est de faire découvrir votre offre culturelle en vous servant, entre autres, des moteurs de recherche pour générer des visites, des visionnements ou des achats, le web sémantique ne vous sera d’aucune utilité!
Google n’exploite que le langage de balisage Schema.org…
Pour un plan de découvrabilité plus efficace
Voici les éléments de réflexion qui apporteront plus d’efficacité à votre plan de découvrabilité. La grande lacune de la plupart des plans de découvrabilité est l’absence ou la faiblesse de la stratégie — comment pousser les bons contenus aux bons publics, sur les bons canaux, pour atteindre des objectifs mesurables. Or, ce travail est essentiel à plusieurs titres:
1 – Connaître les publics et fixer des objectifs
À quels besoins et à quels publics votre offre est-elle susceptible de répondre? Les objectifs à atteindre doivent être déterminés en fonction des intérêts et comportements de ces publics cibles ainsi que de leurs possibles relations à l’offre.
2 – Différencier votre offre
Le vocabulaire Schema.org permet de fournir une description détaillée d’une offre culturelle. Google n’en utilise cependant que certains éléments. Baliser une offre de spectacle n’est pas suffisant pour permettre à celle-ci de se différencier de milliers d’autres offres. La connaissance des publics fournit les éléments d’information et le vocabulaire pouvant aider les moteurs de recherche à faire des connexions entre les intentions et profils des utilisateurs et les offres disponibles.
3 – Faire travailler des spécialistes ensemble
Les balises et le référencement par mots clés sont des outils complémentaires s’appuyant sur la stratégie de promotion. Accroître la découverte commence par la présentation de l’offre sur le site web . Ceci a pour but de faciliter le travail des moteurs de recherche et d’améliorer l’expérience de l’utilisateur avec leur interfaces.
4 – Relier les acteurs de l’écosystème
Si un site web est absolument essentiel et stratégique, d’autres présences numériques contribuent au rayonnement d’une offre. Une bonne stratégie met donc à contribution les acteurs de l’écosystème en identifiant des points d’entrée (réseau social, vidéo, site partenaire, etc.) et en multipliant ainsi les parcours de découverte.
5 – Ne pas compter uniquement sur Google
En se contentant de produire des métadonnées sous forme de balises Schema.org, on se conforme aux modèles et directives qui répondent avant tout aux objectifs d’affaires d’un géant du numérique. Bien que le balisage d’offres pour les moteurs de recherche fasse partie des bonnes pratiques web, Google ne garantit aucun résultat (longue lecture, mais excellent billet).
Attention: les métadonnées ne sont pas toujours utiles. Si vous souhaitez améliorer la valeur de votre site pour Google, corrigez les lacunes de conception et améliorez la valeur du contenu rédactionnel.
6 – Mesurer l’atteinte des objectifs
Finalement, la découverte d’offres culturelles sur un moteur de recherche est difficilement mesurable. Elle dépend de plusieurs facteurs extrêmement variables, comme le profil, l’intention présumée par l’algorithme et les usages antérieurs de chaque utilisateur. Ce sont donc les objectifs et indicateurs de mesure ayant été déterminés dans le plan stratégique qui permettront d’évaluer la réussite de celui-ci.
Utiliser des métadonnées sans tomber dans le solutionnisme
Ce ne sont pas les métadonnées qui produisent des résultats, mais les moyens déterminés par la stratégie. Il faut donc proposer des initiatives plus marquantes pour la diffusion et l’appréciation de nos offres culturelles. Par exemple, renouveler l’expérience de recherche sur un site en présentant l’information sous forme de fiches, de façon similaire à Google, mais selon d’autres règles que la popularité et la similarité.
Il n’existe pas de recette. Chaque projet étant unique, il doit se différencier pour se démarquer, et ce grâce au choix des canaux, plateformes, mots, images et liens adressés aux bons publics.
Surtout, il ne faut pas se contenter d’appliquer les consignes de Google. On doit également chercher à comprendre l’interaction complexe des systèmes et identifier les éléments stratégiques que nous pouvons contrôler.
Enfin, nous ne pouvons pas encourager le milieu culturel à se conformer à un système dont nous ne comprenons pas le fonctionnement et dénoncer, dans le même temps, la domination et l’opacité des GAFAM. Cette contradiction en dit long sur les connaissances qu’il nous reste à acquérir…