Mise à jour 2019-09-07: ajout, à la fin du billet, d’information concernant les cas d’usage, suite à un commentaire exprimé sur Facebook.
Produire et réutiliser des données descriptives, ce n’est pas travailler sur une solution, mais sur des questions.
Quelle est la finalité du projet ?
Comment savoir si les données d’une organisation ou d’un collectif ont un fort potentiel informationnel ? Comment ces données peuvent-elles répondre à des questions qui demandent de faire des liens entre des entités et d’interpréter des relations ? Si ces données ne sont pas suffisamment riches en information, comment les lier avec celles provenant d’autres sources, ouvertes et privées, pour les valoriser ?
La finalité de projets de données est de générer l’information la plus riche afin de répondre à des questions à la satisfaction des publics cibles. Toute initiative devrait donc débuter par un diagnostic de la disponibilité et de la qualité des données. Cependant, comment effectuer un tel exercice sans savoir à quels besoins répondront-elles ou, plus exactement, à quelles questions devront-elles répondre ?
Trouver les bonnes questions: la dimension cognitive des projets
La dimension cognitive des projets numériques se rapporte à la sélection, l’organisation et le traitement de l’information. Ces activités doivent réunir des perspectives et compétences diversifiées: de la connaissance du domaine et des publics à la modélisation de l’information. Il s’agit d’un travail collaboratif qui doit être réalisé en amont de la conception technique. Cette étape est rarement bien planifiée et réalisée, faute de budget, ressources ou méthode de travail. Pourtant, elle constitue le coeur du projet. C’est, de plus, un processus qui permet d’améliorer la littératie numérique et développer des pratiques collaboratives au sein d’une organisation et d’un partenariat.
Interroger les données: repenser les vieilles interfaces
Les vieux modèles d’interfaces de recherche influencent notre conception des questions que nous posons aux ensembles de données. Elles forcent les utilisateurs à formuler leurs questions en fonction de critères limités. Ces interfaces pré web qui sont encore utilisées pour donner accès au contenu de catalogues en ligne sont nettement déclassées par la recherche en langage naturel.
Cocher des critères comme la date, l’auteur, le sujet ou le titre ont assez peu à voir avec les comportements et besoins des utilisateurs. L’indexation des contenus et le paramétrage du moteur de recherche des sites sont généralement peu élaborés. Par exemple, explorer les archives du journal Le Devoir est plus intéressant à partir de l’interface de Google. Il suffit de limiter la recherche au site et d’ajouter des expressions ou, même, des questions , comme ceci: « site:https://www.ledevoir.com/ causes du changement climatique ». On peut alors explorer les textes, images et vidéos. Les traces de nos usages ne serviront cependant pas les intérêts du média, mais le modèle économique du moteur de recherche.
Remplacer les cas d’usage par une approche narrative
Avant de développer de nouvelles plateformes, il y aurait place à amélioration pour répondre aux besoins d’information spécifiques des publics et accompagner le développement de services à valeur ajoutée.
Mais trouver les bonnes questions à poser requiert une connaissance des publics cibles et, pourquoi pas, leur participation. Pour cela, il convient de remplacer l’approche technologique (cas d’utilisation) par une approche narrative, plus concrète et plus proche du phénomène informationnel (lier des données pour raconter une histoire).
When we frame information about an object we focus attention on certain aspects of that object or its history. It’s just like choosing a new frame for a painting, which then highlights different qualities of the artwork. Framing is less about the information we feature in a label and more about how we present that information.
Le sujet de cet article dépasse le domaine muséal: What makes a great museum label?
Exploiter des données plus riches de sens
Notre relation aux contenus culturels est de l’ordre du ressenti, du goût et des intérêts. Cependant, nos bases de données et catalogues fournissent une information factuelle, organisée de façon uniforme et anodine, bien loin de la diversité des cultures et expériences humaines. D’autres métadonnées pourraient jouer un rôle aussi important que les métadonnées classiques de type catégorie-titre-auteur, pour la personnalisation des services et pour l’analyse des données d’usage.
Sous la direction d’Yvon Lemay et Anne Klein, de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Archives et création: nouvelles perspectives en archivistique regroupe des publications de recherche sur l’exploitation des archives dans le domaine culturel (arts visuels, littérature, cinéma, musique, arts de la scène, arts textiles et Web). Cette publication devrait être lue par quiconque souhaite réfléchir sur la mise en réseaux des données sur la culture.
Indexation – Émotions – Archives, la recherche menée par Laure Guitard, se rapporte plus spécifiquement à l’enrichissement des modèles de données par la représentation de la charge émotionnelle des contenus et objets (page 151).
l’indexation – professionnelle et collaborative – pourrait permettre d’inclure l’émotion dans la description des archives afin que cette dernière soit reconnue comme une clé d’accès aux documents
Je souligne, avec cette référence, l’importance de la recherche académique et des regards croisés entre domaines d’étude pour apporter de la profondeur à des idées. Les monocultures sectorielle, disciplinaire et technologique nuisent à nos ambitions numériques.
Renforcer le volet cognitif des projets
Il faut revoir des modèles d’indexation de contenu, ou de production de métadonnées. Disposer de données plus riches permet d’analyser la relation de l’utilisateur au contenu, de mieux connaître les publics, de développer des algorithmes de recommandation et, finalement, d’imaginer d’autres façons de valoriser des catalogues, fonds et répertoires.
Nous ne devons pas nous laisser démonter par la complexité des projets ou, pire: brûler de précieuses ressources en « coupant les coins ronds». Nous pouvons y faire face en mettant en commun des ressources et des expertises diversifiées et en élaborant d’autres méthodes de travail. Donnons-nous du temps, mais commençons dès maintenant.
Ajout d’information concernant les cas d’usage et l’approche narrative, à la suite d’une très bonne question posée par Frédéric Julien, sur Facebook.
Extrait du commentaire de Frédéric :
Je ne suis par contre pas certain de comprendre ce que tu entends par “remplacer les cas d’usage par une approche narrative”. Au cours de la dernière année, j’ai eu la précieuse occasion de participer à quelques exercices de consultation auprès de créateurs et usagers de données dans le cas du projet 3R. Ce que j’y entendu a énormément contribué à ma réflexion sur les cas d’usage dans le cadre de l’initiative ANL [Un avenir numérique lié]. Ces deux méthodologies ne me semblent pas du en contradiction l’une avec l’autre (ni avec ce que tu décris dans ton billet… à moins que certains détails ne m’échappent).
Réponse:
/…/ une approche narrative permet de réaliser des cas d’usage en les mettant en contexte (le “comment”). J’emploie un terme fort, “remplacer”, pour attirer l’attention sur une étape du projet sur laquelle se fondent beaucoup d’objectifs (et d’espoirs). C’est une étape cruciale pour la mise en relation de l’information avec des utilisateurs. Elle est trop souvent escamotée ou sert uniquement à construire des exemples de requêtes.
Suivre une approche narrative ne signifie pas raconter une histoire, mais analyser des comportements, des usages, des interfaces et des structures de données pour produire des exemples qui vont démontrer l’utilité ou la valeur ajoutée du système.
Cependant, les cas d’usage réalisés de façon habituelle (comme en informatique), portent sur le “quoi” (les données, les étiquettes à mettre) alors que les éléments de la recherche et de la découverte ne sont plus les mêmes:
- Interrogation de données liées conçue comme des requêtes sur des BD tabulaires (où est le potentiel du liage de données?)
- Travail de terrain très rarement réalisé avec des utilisateurs finaux, dont des non-usagers (ex: non-visiteurs de musées) et des non-amateurs de certains type d’offres (ex: films québécois).
- Confusion entre parcours de recherche et de découverte (qu’est-ce que chercher? découvrir? comment cela se produit-il dans des contextes spécifiques, avec certains supports et chez certains types d’utilisateurs ?)
L’ajout en réponse à la question de Frédéric Julien m’apparaît très intéressant.
Je trouve particulièrement éclairant de faire le rapprochement entre:
parcours de recherche vs parcours de découverte
et
cas d’usage vs approche narrative
N’est-ce pas deux manifestations du même changement de perspective?
Pas exactement. Dans le premier vis-à-vis, c’est la distinction entre la recherche et la découverte qui est mise de l’avant (intention exprimée). Alors que dans le deuxième vis-à-vis, c’est une distinction entre l’aspect “mécaniste” des cas d’usage (héritage des tests fonctionnels des projets informatiques) et l’approche narrative (questionnement sur des habitudes et sur l’information, et non, un exercice de conception ou de prototypage). Celle-ci permet de réaliser un cas d’usage (recherche ou découverte) avec de réels utilisateurs finaux. Dans le narratif, c’est le comment (ou le contexte) qui prend le pas sur le quoi (mots clés).