Si la question de l’ouverture des données culturelles ne semble plus faire l’objet de débats intenses, celle de l’accès aux données d’usage, (données relatives aux interactions des utilisateurs avec les contenus) est le nouvel enjeu essentiel du développement culturel et économique dans un contexte numérique. Un enjeu central de l’économie de la donnée qui intéresse les entreprises (par exemple, IBM), comme les états (ici, la Commission européenne). Plus près de nous, un rapport de l’Observatoire de la culture et des communications fait état de la difficulté d’accéder à des données permettant de comprendre le comportement culturel des Québécois. .
Économie de la donnée: nouveaux oligopoles
Un article publié tout récemment dans The Economist soulève de nombreuses questions concernant l’accaparement des données d’usage par les géants du numérique. Il y est fait allusion aux lois antimonopoles qui visent à empêcher la domination du marché des produits pétroliers par un groupe industriel. Si la donnée est, à présent, devenue le pétrole des modèles d’affaires numériques, faudrait-il repenser les mesures antimonopoles afin d’assurer une dynamique de marché saine et une meilleure protection des données personnelles ? Serait-il même souhaitable que l’État s’en mêle ?
Governments could encourage the emergence of new services by opening up more of their own data vaults or managing crucial parts of the data economy as public infrastructure, as India does with its digital-identity system, Aadhaar. They could also mandate the sharing of certain kinds of data, with users’ consent—an approach Europe is taking in financial services by requiring banks to make customers’ data accessible to third parties.
Ce questionnement devrait également s’appliquer aux pratiques de nos institutions et entreprises culturelles, alors qu’elles doivent entreprendre les transformations nécessaires pour demeurer pertinentes dans un contexte numérique. On ne peut pas, d’un côté, s’élever contre le contrôle des données par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et autres plateformes supranationales, et de l’autre, favoriser l’émergence d’acteurs dominants locaux qui opéreront le même contrôle.
À qui appartiennent les données d’usage ?
À ce titre, le Conseil national du numérique (ou CNNum), un groupe consultatif indépendant, en France, vient de publier un avis sur la libre circulation des données à l’intention de la Commission européenne afin de faire opposition aux lobbys qui souhaiteraient l’édiction d’un droit de propriété sur les données. Ce qui pose la question de la propriété de ces données: appartiennent-elles à ceux qui les produisent (les utilisateurs), ceux qui fournissent les senseurs, ceux qui constituent les bases de données ou ceux qui sont les propriétaires de la plateforme ?
Le CNNum n’est qu’un des nombreux collectifs et organisations à exiger des états qu’ils prennent des mesures afin que les données d’usages ne soient pas accaparées par les acteurs dominants de secteurs industriels au détriment des petites et moyennes entreprises, ainsi que des intérêts des citoyens :
Si le Conseil souscrit au lancement d’une initiative européenne pour favoriser la circulation des données en Europe, il considère que les barrières à cette circulation se situent moins au niveau des frontières nationales qu’au niveau des stratégies de lock-in et de rétention de données entre acteurs économiques et que l’action de la Commission européenne devra poursuivre en priorité l’objectif de faire émerger un environnement de la donnée ouvert, favorable à la concurrence et à la diffusion des capacités d’innovation.
Données culturelles: une ressource collective
Le financement public de la culture devrait tenir compte des enjeux clés que sont le contrôle et l’accès aux données dans une économie numérique. Nous aurions intérêt à encourager la mise en commun des données culturelles plutôt que leur cloisonnement. Voici pourquoi:
- La donnée est un bien non-rival
Plusieurs utilisateurs peuvent en bénéficier simultanément; leur usage, duplication ou consommation n’entraîne pas de perte directe.
Mise à jour (2017-05-06) Suite à un commentaire très pertinent de Martin Ouellette, fondateur de l’ex-agence Commun (et un des rares publicitaires que j’admire), sur Facebook:
« Je considère que la donnée est un bien rival. Elle peut permettre des prédictions qui donneront un avantage concurrentiel. »
C’est probablement vrai quand on traite un jeu de données structurées et homogènes, provenant d’une source unique. M ais à présent, quand on constate la complexité du traitement nécessaire pour faire parler des données hétérogènes, non structurées et non alignées, l’avantage concurrentiel tient moins à l’accès aux données et beaucoup plus à l’accès aux ressources et expertises pour les nettoyer, les aligner et écrire les algorithmes qui permettent d’en tirer de l’information utile.
- La valeur de la donnée réside dans ce qu’on en fait
Comme l’affirme, Hal Varian, économiste en chef chez Google: ce sont les algorithmes, et non la quantité et la qualité des données, qui font une différence. - Les données dans des silos produisent moins de valeur
On obtient une information plus riche par le croisement de données de sources diverses. - Produire et réutiliser des données requiert des investissements
La mutualisation des expertises et des ressources permettrait à tous les acteurs économiques participants d’acquérir des compétences sur la donnée et de développer une intelligence de marché qui sont essentielles pour la résilience de tout l’écosystème culturel.
L’exploitation collective de données culturelles serait plus favorable à l’émergence de nouveaux modèles d’affaires et la création de services, chez les petites et grandes entreprises. Elle permettrait de produire l’information qui fait actuellement défaut pour comprendre le comportement des consommateurs et repérer les opportunités de marché, et ce , où que ce soit dans le monde.
Très intéressant. Jeudi j’étais une rencontre où nous discutions de ce sujet deux propositions sont sortie: la données des utilisateurs comme bien public et la données comme propriété des utilisateurs (e.g l’utilisateur, le générateur de donnée, doit donner son consentement pour les diverses utilisations, et notamment la vente/génération de valeur de ces données hors de l’organisme collecteur). A priori opposée, ces deux approches peuvent tout de même se rejoindre. Dans un cas comme dans l’autre ça implique un changement de régime par rapport à l’existant.
> Comme l’affirme, Hal Varian, économiste en chef chez Google: ce sont les algorithmes, et non la quantité et la qualité des données, qui font une différence.
Sauf que les algo ne valent rien sans (beaucoup) de données. Bref, on n peut pas considérer l’un sans l’autre. En revanche, le fait de mettre l’accent sur l’algo mais l’accent sur la propriété intellectuelle incontestable alors que mettre l’accent sur les données montre la vulnérabilité des géants comme Google et Facebook.
Merci pour ces réflexions, Stéphane, je crois qu’il davantage susciter et accueillir des discussions sur ces enjeux. Je suis tout à fait d’accord avec toi sur ces deux points ” A priori opposée, ces deux approches peuvent tout de même se rejoindre. Dans un cas comme dans l’autre ça implique un changement de régime par rapport à l’existant.” Il y a encore beaucoup à faire pour réunir les bonnes personnes autour de la table des discussions.
Je m’intéresse plus spécifiquement aux données d’usage dans le secteur culturel. Le financement public de services et contenus culturels ne devrait pas servir à favoriser certains acteurs et à créer des silos d’information, mais à faciliter une transition vers de nouveaux modèles de création de valeur à partir d’une richesse commune. Là, encore il y a du chemin à faire pour sortir des vieilles habitudes.
Josée