Le recours au « tout numérique », dans les circonstances de la crise actuelle entraînée par la pandémie, révèle de nombreuses inégalités. Qu’il s’agisse de l’enseignement à distance, de la dématérialisation des services publics ou, même, du traçage des personnes, les propositions de « solutions » tiennent généralement pour acquis que l’informatique connectée est à la portée de tout le monde. Nous devons éviter les écueils de la transformation numériques que sont le solutionnisme et la création d’inégalités numériques.
Imaginer nos propres solutions
J’ai élaboré, dans un précédent billet, sur le piège du solutionnisme technologique: « Ce ne sont pas des plateformes numériques qui ont permis à Netflix et compagnie de bouleverser l’industrie. C’est d’avoir compris le potentiel du Web et pensé autrement l’accès, la distribution et la production de contenus audiovisuels, en osant remettre en question les modèles établis.»
Cette expression peut s’appliquer au sentiment d’urgence qui nous pousse vers le développement d’un outil avant même d’avoir défini le problème, exploré les causes possibles et analysé les systèmes sociaux et techniques.
Il ne faut pas tomber dans ce piège et nous contenter de reproduire des stratégies et des outils qui ont été conçus pour servir d’autres objectifs que les nôtres.
Internet pour réduire les inégalités
Voici quelques éléments qui favoriseraient la transformation numérique, en commençant par la condition de base:
- Accès Internet sur tout le territoire.
- Accès Internet à la maison (gratuit ou à coût modique).
- Bande passante nécessaire pour l’accès de qualité à du contenu audiovisuel.
- Ordinateur à la maison (échapper aux coûts de l’obsolescence programmée, promouvoir les logiciels libres). Équipement en nombre suffisant pour les besoins d’une famille confinée.
- Connaissances informatiques et habiletés numériques suffisantes (autonomie des utilisateurs, sécurité informatique, protection de la vie privée).
- Équipement adapté et logiciels et contenus web accessibles aux personnes en situation de handicap temporaire ou permanent.
- Service de médiation: outils d’accès –et de contribution– à la connaissance et à la culture, littératie de l’information (bibliothèques publiques, initiatives citoyennes).
- Commerçants, fonctionnaires, profs et professionnels ayant des compétences numériques suffisantes ou les ressources nécessaires pour offrir un bon niveau de services en ligne.
- Amélioration du niveau d’alphabétisation (compréhension des consignes d’utilisation des services en ligne et des instructions techniques).
Technologies plus simples, accessibles et durables
Dans une tribune, Jean-François Marchandise, cofondateur de la Fondation Internet nouvelle génération, partage ce constat sur le besoin de médiation numérique :
Aujourd’hui, une grande partie de l’innovation numérique repose sur un numérique de luxe. Nous allons vers des « toujours plus », adaptés à un monde en croissance éternelle et en ressources infinies…
A contrario, il va davantage falloir composer avec un numérique moins high tech, qui puisse fonctionner avec trois bouts de ficelle, de manière plus décentralisée, avec une moindre dépendance au lointain, une relocalisation des savoir-faire.
De plus, si tous les citoyens sont égaux, ne devrions-nous pas élaborer des propositions numériques en fonction du plus bas dénominateur numérique commun ?
Pilotage d’initiatives et intelligence collective
Cette pandémie devrait nous faire réaliser que nous devons changer nos méthodes de travail et prendre garde aux inégalités numériques et au solutionnisme technologique.
Si nous souhaitons tirer des apprentissages constructifs de la complexité de cette situation, nos équipes de projets doivent être interdisciplinaires et nos analyses doivent tenir compte de l’interdépendance des systèmes. Les outils de communication et de travail collaboratif peuvent faciliter la circulation des idées. Cependant, seule une réelle transformation du pilotage des initiatives numériques, vers une forme d’intelligence collective, pourrait les rendre plus efficaces et accroître leurs bénéfices.
Pour que le Québec puisse se relever le plus rapidement de cette crise, l’ensemble de la société doit participer à la création de valeur (savoir, culture, industrie). Et pour cela, il faudrait d’abord réparer la fracture numérique, faire de l’accès Internet un service public essentiel et apprendre à piloter des projets dans la complexité.