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Que faire pour multiplier l’impact des initiatives numériques ?

Comment multiplier la portée des programmes de soutien à la transformation des organisations dans un contexte numérique ? En favorisant des initiatives qui ont pour objectifs des résultats  durables et transmissibles à d’autres individus, organismes ou secteurs d’activités.

Ceux qui tirent la plus grande partie des bénéfices d’une économie numérique sont ceux qui en maîtrisent les concepts clés (collecte de données, organisation et classification de l’information, traitement algorithmique) et qui prennent les moyens pour profiter du réseau (contenu généré par les utilisateurs, mobilisation de capital intellectuel).  Nous ne pouvons cependant pas tenter d’imiter des modèles qui ont nécessité des investissements colossaux et qui, après des années d’expérimentation, constituent des entités aussi riches et puissantes que des états. Mais nous ne devons pas non plus demeurer des fournisseurs de données et de contenus.

C’est pourquoi des programmes d’aide à la transformation numérique et à l’innovation, quel que soit le secteur d’activité, devraient permettre d’accroître de manière plus efficace nos connaissances en matière d’information numérisée , et de favoriser la collaboration entre organismes pour concevoir et expérimenter d’autres modèles de création de valeur.

Voici 3 notions qui sont essentielles pour sortir des vieux modèles :

1 – L’information avant les moyens technologiques

Découvrabilité, métadonnées, mise en commun de données, diffusion de contenu: bien avant d’être du développement logiciel ou la mise en place d’infrastructures, c’est un travail sur la définition et l’application de principes de traitement et d’organisation de l’information.

Découvrabilité dans le web des données

La mise en nombres binaires de l’information (soit des suites de 1 et de 0 qui représentent des caractères, puis des mots) est ce qui rend son traitement et sa transmission possibles par des machines. Par contre, pour que cette information numérisée puisse être repérable, « comprise » et exploitable par des machines qui sont, à présent, en quête de sens, il faut :

  • Décrire les données pour qu’elles soient lisibles et utilisables pour des machines.
  • Publier les données dans le web selon les standards du W3C pour les données ouvertes et liées (Linked Open Data).

De plus, pour rendre cette information découvrable dans le web, il faut préalablement réaliser une étape essentielle:

  • Libérer les données qui décrivent des ressources (contenus culturels, patrimoine vivant et immatériel, produits, services, etc.).

2 – Les données comme actif plutôt que matière première

Nous souhaitons que les moteurs de recherche et autres types de technologie utilisés pour ratisser le web repèrent les données qui décrivent nos contenus, produits et services.  Or, nous persistons à considérer la donnée comme une ressource alors que dans une économie numérique, il s’agit d’un actif. Cette nuance est extrêmement importante puisque cette ressource n’a de valeur que si elle est rare. Nous pourrions, par exemple, avoir à payer pour obtenir les données qui décrivent les titres d’un répertoire musical. Cependant, les données ne seraient donc pas repérables et accessibles pour les humains et les machines.

Considérer les données comme un actif permet de capitaliser sur la valeur de l’information qu’elles permettent de générer et sur le potentiel de découvrabilité qu’elles accordent aux contenus qu’elles décrivent.

3 – Travailler ensemble autour des données

Collaborer au sein d’une même organisation, à travers les disciplines ou entre organismes favorise l’émergence d’idées novatrices et permet de surmonter des problématiques complexes. Travailler sur des données en diversifiant les perspectives permet de générer de l’information utile pour divers objectifs, domaines d’activité et types d’utilisateurs. C’est pourquoi des initiatives qui sont mises en oeuvre par des équipes pluridisciplinaires ont de meilleures chances de succès.

Travailler ensemble sur la valorisation ou la mise en commun de données, que ce soit au sein d’un même organisme ou en partenariat avec d’autres organisations, requiert l’adoption de véritables méthodes collaboratives, notamment, pour que des enjeux relatifs à la gestion des données  et au processus décisionnel ne viennent faire obstacle à l’atteinte des objectifs.  En s’éloignant  des dynamiques de contrôle et de subordination habituelles, il est possible d’instaurer un climat de confiance et la cohésion nécessaires à un travail collaboratif.

Un vrai modèle collaboratif n’est pas centralisateur: chacun des contributeurs d’un système de traitement ou de mutualisation de données est responsable de leur production et de leur qualité.. Ceci a pour effet d’assurer une gouvernance équilibrée du système  et le transfert et développement de compétences au sein de chacune des organisations.

Pour cela, il faut apprendre à élaborer des démarches de projets qui fédèrent les participants autour d’un objectif commun tout en reconnaissant les bénéfices individuels et les limites de chacun. Ainsi, les initiatives et projets peuvent profiter du partage de connaissances au sein de réseaux internes et externes.

Pas d’évolution numérique sans maturité informationnelle

Voici la démarche des 5 étoiles du web des données, tel que conçue  par Tim Berners-Lee et soutenu par les recommandations du W3C.

∗ Rendez vos données disponibles sur le Web (quel que soit leur format) en utilisant une licence ouverte.
** Rendez-les disponibles sous forme de données structurées (p. ex., en format Excel plutôt que sous forme d’image numérisée d’un tableau).
*** Utilisez des formats non exclusifs (p. ex., CSV plutôt que Excel).
**** Utilisez des URI pour identifier vos données afin que les autres utilisateurs puissent pointer vers elles.
***** Reliez vos données à d’autres données pour fournir un contexte. (Cote de degré d’ouverture des données, Gouvernement ouvert, Canada).

Les 5 étoiles des données ouvertes et liées

 

Voici l’échelle de la maturité informationnelle des organisations, telle qu’illustrée par Diane Mercier dans le cadre de sa thèse doctorale sur le web sémantique et la maturité informationnelle des organisations.

Thèse doctorale et références : Web sémantique et maturité organisationnelle sur Zotero. 

Schéma de la maturité informationnelle des organisations

Ces deux modèles participent de la même démarche graduelle et progressive vers l’ouverture et la participation, grâce à l’adoption de principes communs. C’est cette transformation que  des initiatives numériques devraient permettre d’amorcer pour le bénéfice d’organismes et entreprises et, plus largement, pour la résilience d’un secteur d’activité ou d’un écosystème.

Découvrabilité : quand les écrans ne sont plus nécessaires 

Présentation donnée lors de la clinique d’information du Fonds Bell, le 17 octobre 2017, à la Cinémathèque (Montréal).

Mise à jour (16 février 2018):  Cette présentation accompagnait le lancement du guide Êtes-vous repérables ? Guide pratique pour documenter vos contenus , réalisé pour le Fonds indépendant de production, avec la collaboration de TV5.ca et l’appui de la SODEC .

La découvrabilité qui devrait intéresser plus particulièrement tout créateur et producteur de contenus résulte de la présence, dans le web, de données descriptives qui sont intelligibles et manipulables par des machines. Il ne s’agit pas de campagnes de promotion, ni de référencement de pages web, mais de la documentation de  contenus (textes, images, vidéo, enregistrements sonores et toutes autres types de ressources).  Ces trois types d’activité visent des objectifs spécifiques et complémentaires.

Les changements qui affectent la visibilité et la découvrabilité

La plus grande proportion du trafic sur le web est portée par les petits écrans mobiles.

Graphique: le trafic web est porté par les écrans mobiles

Liens utiles:
Smartphones are driving all growth in web traffic
Search engine market share – Mobile – Canada
Cahier de Tendances N°11 : au delà du mobile, France Télévisions

Les moteurs de recherche s’adaptent aux petits écrans.
Lorsque l’information qui décrit un contenu est disponible dans un format que les moteurs peuvent traiter, la liste des résultats de recherche passe au second plan.

Face à la surabondance d’information et de contenus, la pertinence de la recommandation devient un facteur important de fidélisation.

Google - Résultat de recherche sur téléphone

Recherche vocale et assistants virtuels: l’information sans écran.
Plus de 30 millions d’assistants vocaux dans les foyers, aux États-Unis, d’ici la fin de l’année

Assistants virtuels ou assistants vocaux

Liens utiles:
More than 30 million ‘voice-first’ devices in US homes by year end [Report]
Report: 57% of smart speaker owners have bought something with their voice
Gartner Predicts 30% Of Searches Without A Screen In 4 Years

Ces nouvelles interfaces du web n’ont pas d’écran et ne peuvent dont nous répondre en nous fournissant une liste de résultats.
« Enfin et c’est cela qui pose à mon sens le plus gros problème dès que l’on sort de la seule sphère « commerciale », il y a … « le choix d’Alexa », c’est à dire l’idée que bien sûr Amazon / Alexa ne va pas nous « lire » une série de réponses suite à notre requête mais nous en proposer une seule, mettant naturellement en évidence des produits vendus par la marque hôte.» (La voix et l’ordre, billet d’Olivier Ertzscheid).

Moteurs de réponses et de suggestions
Lorsque les données qui décrivent un contenu sont accessibles, intelligibles et manipulables par des applications, elles peuvent être triées par des algorithmes et liées à d’autres données qui décrivent un même auteur, lieu, création, objet, producteur, etc.  Un contenu peut se trouver sur la parcours d’un internaute des décennies après sa création.

Liens utiles:
Les sites web sont-ils en voie de disparition ?
#DIVERTISSEMENT Les algorithmes vont-ils mettre fin à la tyrannie du choix ?
How Netflix will someday know exactly what you want to watch as soon as you turn your TV on

Les moteurs de recherche comprennent-ils nos contenus?

Les pages web sont faites pour être lues par des humains. Les machines ne comprennent pas le contenu de la page, mais elles peuvent manipuler des données qui s’y trouvent  lorsque celles-ci sont mises en contexte grâce à des métadonnées et sont dans un format qu’elles reconnaissent.

Pour savoir si un moteur de recherche peut faire des liens entre votre websérie et d’autres informations disponibles dans le web, il suffit de chercher celle-ci afin de voir si une fiche d’information est produite.

Validation des données structurées: recherche de la série Carmilla.
Chez Google, la fiche d’information, appelée Knowledge card, est générée grâce à  la mise en contexte des données qui décrivent le contenu avec son modèle de classification des connaissances (Knowledge graph). Ces mêmes données descriptives sont mises en relation avec celles d’autres plateformes comme Wikidata (les données structurées de Wikipédia) et, selon le contexte, avec les données de plateformes spécialisées.

Dans le domaine du cinéma, de la vidéo et de la télévision, nous pouvons retrouver les données issues des agrégateurs IMDb (Internet Movie Database,  propriété d’Amazon), AlloCiné et Rotten Tomatoes. Notez que le contenu de ces plateformes n’est pas produit par une seule organisation, mais par des utilisateurs et/ou des producteurs de contenus.

Ce sont des données structurées qui, chez les moteurs de recherche comme Google et Bing , permettent de faire des liens sémantiques qui fournissent une description succincte ou détaillée  d’un contenu dans une fiche d’information. C’est cette fiche qui tend à occuper un espace de plus en plus important sur nos écrans.

De la même manière qu’il a fourni aux développeurs des instructions pour faciliter le référencement de sites web, Google fournit désormais des instructions et des outils pour encourager la production de données structurées. L’outil de test des données structurées détecte la présence de ces données dans une page web et, le cas échéant,  signale les erreurs à corriger et les améliorations possibles.

Google: validation des données structurées: page d'accueil de Louis-Jean Cormier.

Il est également possible de produire des métadonnées pour décrire un contenu qui est présent dans une page web sans connaître le modèle de métadonnées Schema et sans programmation. L’outil d’aide au balisage des données structurées qui est proposé par Google permet de copier les données qui sont encodées en JSON-LD, un format pour les données liées, et de les coller dans le code HTML de la page web où se trouve le contenu.

Google: outil de balisage de données structurées, page web de Vincent Vallières

Cet outil présente un intérêt supplémentaire: il indique les informations qui devraient apparaître dans la page de présentation d’un contenu. De trop nombreuses pages web où sont présentés des films, spectacles, livres, pièces musicales ou œuvres d’art ne contiennent pas le minimum d’information qui permettrait aux moteurs de recherche de les lier à d’autres informations dans le web.

Plus l’information qui décrit le contenu est détaillée et riche, plus grand est le potentiel de celui-ci d’être lié à d’autres contenus et donc, d’être découvert.

Documenter nos contenus, n’est-ce pas travailler pour Google et cie?

Documenter (ou indexer) un contenu, tout comme faire du référencement de pages web, c’est normaliser et organiser la  représentation de celui-ci.  C’est, effectivement, contribuer à l’amélioration continue des applications et des algorithmes des moteurs de recherche.

Mais c’est également une étape nécessaire pour apprendre à nous servir de nos données et, par la suite, développer nos propres outils de découverte, de recommandation et de reconnaissance de ceux qui ont contribué à la création et à la production  d’œuvres.

Vers un service public de la donnée culturelle ?

Google Pipes Datacenter, par Jorge Jorquera
Google Pipes Datacenter, Jorge Jorquera via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

Si la question de l’ouverture des données culturelles ne semble plus faire l’objet de débats intenses,  celle de l’accès aux données d’usage, (données relatives aux interactions des utilisateurs avec les contenus) est le nouvel enjeu essentiel du développement culturel et économique dans un contexte numérique. Un enjeu central de l’économie de la donnée qui intéresse les entreprises (par exemple, IBM), comme les états (ici, la Commission européenne).  Plus près de nous, un rapport de l’Observatoire de la culture et des communications fait état de la difficulté d’accéder à des données permettant de comprendre le comportement culturel des Québécois. .

Économie de la donnée: nouveaux oligopoles

Un article publié tout récemment dans The Economist soulève de nombreuses questions concernant l’accaparement des données d’usage par les géants du numérique. Il y est fait allusion aux lois antimonopoles qui visent à empêcher la domination du marché des produits pétroliers par un groupe industriel. Si la donnée est, à présent, devenue le pétrole des modèles d’affaires numériques, faudrait-il repenser les mesures antimonopoles afin d’assurer une dynamique de marché saine et une meilleure protection des données personnelles ? Serait-il même souhaitable que l’État s’en mêle ?

Governments could encourage the emergence of new services by opening up more of their own data vaults or managing crucial parts of the data economy as public infrastructure, as India does with its digital-identity system, Aadhaar. They could also mandate the sharing of certain kinds of data, with users’ consent—an approach Europe is taking in financial services by requiring banks to make customers’ data accessible to third parties.

Ce questionnement devrait également s’appliquer aux pratiques de nos institutions et entreprises culturelles, alors qu’elles doivent entreprendre les transformations nécessaires pour demeurer pertinentes dans un contexte numérique. On ne peut pas, d’un côté, s’élever contre le contrôle des données par les GAFA  (Google, Apple, Facebook, Amazon) et autres plateformes supranationales, et de l’autre, favoriser l’émergence d’acteurs dominants locaux qui opéreront le même contrôle.

À qui appartiennent les données d’usage ?

À ce titre, le Conseil national du numérique (ou CNNum), un groupe consultatif indépendant, en France, vient de publier un avis sur la libre circulation des données à l’intention de la Commission européenne afin de faire opposition aux lobbys qui souhaiteraient l’édiction d’un droit de propriété sur les données. Ce qui pose la question de la propriété de ces données: appartiennent-elles à ceux qui les produisent (les utilisateurs), ceux qui fournissent les senseurs, ceux qui constituent les bases de données ou ceux qui sont les propriétaires de la plateforme ?

Le CNNum n’est qu’un des nombreux collectifs et organisations à exiger des états qu’ils prennent des mesures afin que les données d’usages ne soient pas accaparées par les acteurs dominants de secteurs industriels au détriment des petites et moyennes entreprises, ainsi que des intérêts des citoyens :

Si le Conseil souscrit au lancement d’une initiative européenne pour favoriser la circulation des données en Europe, il considère que les barrières à cette circulation se situent moins au niveau des frontières nationales qu’au niveau des stratégies de lock-in et de rétention de données entre acteurs économiques et que l’action de la Commission européenne devra poursuivre en priorité l’objectif de faire émerger un environnement de la donnée ouvert, favorable à la concurrence et à la diffusion des capacités d’innovation.

Données culturelles: une ressource collective

Le financement public de la culture devrait tenir compte des enjeux clés que sont le contrôle et l’accès aux données dans une économie numérique. Nous aurions intérêt à encourager la mise en commun des données culturelles plutôt que leur cloisonnement. Voici pourquoi:

  • La donnée est un bien non-rival
    Plusieurs utilisateurs peuvent en bénéficier simultanément; leur usage, duplication ou consommation n’entraîne pas de perte directe.

Mise à jour (2017-05-06) Suite à un commentaire très pertinent de Martin Ouellette, fondateur de l’ex-agence Commun (et un des rares publicitaires que j’admire), sur Facebook:
« Je considère que la donnée est un bien rival. Elle peut permettre des prédictions qui donneront un avantage concurrentiel. »
C’est probablement vrai quand on traite un jeu de données structurées et homogènes, provenant d’une source unique. M ais à présent, quand on constate la complexité du traitement nécessaire pour faire parler des données hétérogènes, non structurées et non alignées, l’avantage concurrentiel tient moins à l’accès aux données et beaucoup plus à l’accès aux ressources et expertises pour les nettoyer, les aligner et écrire les algorithmes qui permettent d’en tirer de l’information utile.

  • La valeur de la donnée réside dans ce qu’on en fait
    Comme l’affirme, Hal Varian, économiste en chef chez Google: ce sont les algorithmes, et non la quantité et la qualité des données, qui font une différence.
  • Les données dans des silos produisent moins de valeur
    On obtient une information plus riche par le croisement de données de sources diverses.
  • Produire et réutiliser des données requiert des investissements 
    La mutualisation des expertises et des ressources permettrait à tous les acteurs économiques participants d’acquérir des compétences sur la donnée et de développer une intelligence de marché qui sont essentielles pour la résilience de tout l’écosystème culturel.

L’exploitation collective de données culturelles serait plus favorable à l’émergence de nouveaux modèles d’affaires et la création de services, chez les petites et grandes entreprises. Elle permettrait de produire l’information qui fait actuellement défaut pour comprendre le comportement des consommateurs et repérer les opportunités de marché, et ce , où que ce soit dans le monde.

Culture et numérique : créer une nouvelle plateforme ou adapter le système ?

N’en déplaise à ceux et celles qui n’ont vu que dénigrement et manque d’ambition dans les réactions qui ont suivi la proposition d’Alexandre Taillefer (vidéo, 43:39 min.), celle-ci a favorisé des échanges révélateurs de la véritable nature de la transformation numérique à poursuivre. Proposer la création d’une nouvelle plateforme culturelle ne fait que remettre à plus tard les nécessaires adaptations qu’un système doit entreprendre pour durer et prospérer.

Frohawk Dodo

Face à complexité: la diversité des perspectives

La réaction de Sylvain Carle, exprimée à chaud lors de cette première édition du Forum Culture + Numérique, a été répercutée sur les médias sociaux.

Tellement pas d’accord avec la vison de plate-forme « du Québec pour le Québec » de @ataillefer. Un modèle anti-internet, anti-ouverture. #fcn

— Sylvain Carle (@sylvain) 21 mars 2017

À  l’émission de radio La sphère, diffusée le samedi suivant l’événement, Martin Lessard en a fait le sujet de sa chronique. Même les médias grands publics ont repris ce qui semblait une polémique, mais qui pourrait être le début d’échanges qui n’ont jamais eu lieu de façon ouverte et avec toutes les parties concernées.

Il y aurait pourtant lieu de faire converger les différentes lectures des causes et des symptômes du malaise croissant qui afflige plus spécifiquement les domaines des arts et de la culture dans le contexte de la transformation numérique. Ces quelques publications témoignent de la diversité des perspectives et des approches proposées pour une même problématique. Cette diversité constitue, selon moi, notre meilleure outil pour faire face à la complexité des changements qui se manifestent différemment et à divers niveaux dans des systèmes qui sont tous interdépendants.

Voici quelques perspectives qui sont toutes pertinentes et guidées par la recherche de solutions:

Le grand défi n’est-il pas plutôt de faire se rencontrer ces ressources mutualisées et les usagers/consommateurs? ET si au contraire, Taillefer et toi étiez du même combat?

Ce que je vois, c’est que vous êtes sans doute du même combat, mais à deux bouts du spectre. Toi, du côté de la ressource, du produit, de l’œuvre, et la mise en place des infrastructures qui faciliterait leur découvrabilité. Mais comme tu dis : « l’offre culturelle est abondante et que notre attention, elle, est limitée. » Et le problème est tout là. Cet aspect manque à ton équation. Non seulement notre attention est limitée, mais elle est dirigée, elle est détournée… par ces grandes plateformes. Taillefer, quant à lui, avec sa proposition, ne s’occupe que de l’usager; il aimerait créer un canal pour attirer l’usager et faire pointer son « attention » ailleurs, sur d’autres produits, d’autres biens et services. Locaux, ceux-là.

Et si finalement ces deux bouts du spectre devaient travailler ensemble, travailler soutenir la visibilité des ressources et des produits, mais aussi sur cette attention dispersée des usagers ?

Mais d’accord, il faut oublier la plateforme.

  • Suzanne Lortie, professeure à l’École des médias de l’UQAM, a commenté, comme suit, un article sur Facebook:

C’est ça, je crois, qui motive Alexandre Taillefer. Et c’est bien parfait.

« What Amazon Prime is selling most of all is time. Every executive I spoke to, when asked about how it all fits together, cites this desire to get you whatever you want in the shortest window possible. Stephenie Landry, the Amazon vice president who launched Prime Now in 2014 and has overseen its expansion into 49 cities in seven countries, explains that her business merely has to answer two questions: “Do you have what I want, and can you get it to me when I need it?” The rest of the customer experience is built around answering both questions in the affirmative. »
Why Amazon Is The World’s Most Innovative Company Of 2017

Et dans ses interventions qui émaillaient le fil des commentaires, elle a évoqué le modèle de rémunération du risque dans le cadre d’investissements publics; un modèle dont l’inadéquation affecte plus spécifiquement les nouveaux produits culturels.

 » si la discussion porte en même temps sur la reconfiguration des marges des détaillants et la mutualisation de la logistique, il faut donc commencer par le commencement pour les produits culturels: revoir les notions de pari passu, les piscines qui se remplissent consécutivement. »

Les systèmes grâce auxquels nos contenus culturels et artistiques sont produits et diffusés doivent s’adapter au contexte numérique pour y jouer un rôle plus proactif. N’y a-t-il pas là  des discussions qui sont trop souvent éludées, mais qu’il faudrait avoir le courage d’accueillir ?

Politique culturelle en crise ?

Certains états d’Asie ont, dès le début du 21ième siècle et alors que se développaient de nouveaux modèles économiques, pris des mesures visant à protéger leur culture et leurs productions. La culture a été intégrée à la politique industrielle de la Corée afin de préserver son identité culturelle et de favoriser ses productions au sein des marchés national et international. Protectionnisme ? Peut-être, mais il s’agissait avant tout de rechercher un équilibre entre  productions culturelles nationales et étrangères auprès des consommateurs.

Même si la présence, dans une même phrase, des mots « culture » et « économie » soulève la méfiance de plusieurs, il faut lire les publications résultant d’ateliers menés par des universitaires en économie, arts, culture et communication à propos des échecs des économies créatives et du recadrage des politiques culturelles. Selon un des auteurs, une économie de la culture devrait avoir pour éléments clés des politiques industrielle, des médias, de la ville, des arts, des artistes et autres travailleurs culturels, ainsi que de la culture et du développement durable. Selon lui, une politique industrielle, adaptée aux spécificités du domaine culturel, ne devrait plus être uniquement une stratégie de production, mais tenir compte de l’ensemble de l’écosystème, ce qui inclut la consommation (ou l’audience).

 » if we do introduce the question of cultural value into industrial policy then this cannot be simply a strategy for production – as Nicholas Garnham saw long ago. The market, the audience, the public and how they consume, access, participate, judge, learn, share and adapt has to be an essential part of an ‘industrial’ strategy. Production and consumption have to be seen as a whole in terms of cultural as well as economic value. »
After the Creative Industries: Cultural Policy in Crisis

Nous avons eu des consultations sur le renouvellement de la politique culturelle et sur la stratégie numérique du Québec, mais rarement abordons-nous les enjeux socio-économiques auxquels nous faisons face autrement que par le biais d’initiatives aux objectifs bien spécifiques et, conséquemment, aux impacts limités. En investissant nos efforts sur la création de nouveaux éléments plutôt que d’adapter nos systèmes, ne rendons-nous pas nos industries culturelles  encore plus vulnérables aux contraintes externes ?

Pour aller plus loin: Antifragile: Things that gain from disorder, de Nassim Nicholas Taleb.

La culture à l’ère numérique: dans le web des données plutôt que sur une plateforme

Tenter de concurrencer les géants des contenus numériques en proposant nos propres plateformes, comme le proposait Alexandre Taillefer, est une mauvaise bonne idée; surtout dans le domaine culturel. Voici pourquoi:

NON: centraliser l’information dans une base de données

C’est une mauvaise idée, parce qu’il s’agit d’un concept qui va à contre-courant de l’Internet de Tim Berners-Lee: connaissances partagées, production de contenus décentralisée, modèles distributif et collaboratif, données ouvertes et liées, perspectives à la fois locale et globale. Développer une plateforme afin de centraliser dans une base de données l’information concernant des contenus culturels c’est soustraire ces derniers aux connexions potentielles avec d’autres données à travers le monde.

Louis-Jean Cormier dans DBpedia, version sémantique de Wikipédia
Louis-Jean Cormier dans DBpedia, la facette web sémantique de Wikipédia.

Le contenu des bases de données est « sous le web« ,  c’est à dire inaccessible et incompréhensible pour les moteurs de recherche et applications qui ratissent le web en quête de données qui font du sens. La transition d’un web des documents vers le web des données, et, par conséquent, de la préférence visible des moteurs de recherche pour le sémantique (Google et les données structurées), ne font plus de doute. S’exposer dans le web des données ouvertes et liées constitue une bien meilleure stratégie, pour la valorisation des contenus,  le développement de modèles économiques et l’acquisition d’une culture de la donnée, que la reprise d’un concept datant du premier âge du web.

Alors, pourquoi continuer à financer des silos d’information qui interdisent toute possibilité de liens entre nos contenus et l’intention ou le parcours de consommateurs , où qu’ils se trouvent ?

OUI:  mutualiser les ressources pour publier et agréger des données 

La bonne idée est celle de la mutualisation d’équipement et de ressources pour réaliser un projet collectif. Là se trouve le véritable défi de la « révolution numérique »: apprendre à se faire confiance et à collaborer pour développer une valeur collective. Apprentissage d’autant plus difficile que l’offre culturelle est abondante et que notre attention, elle, est limitée.

Publier des données dans le web, comme on le fait pour des pages de sites internet, permet d’éviter les problèmes d’interopérabilité des bases de données tout en préservant l’autonomie des producteurs de données. Il devient, par la suite, possible de collecter et d’agréger ces données afin de les exploiter pour les rendre réutilisables pour des organismes touristiques, pour créer des interfaces d’exploration et, même, pour concevoir des agents intelligents qui feront des suggestions de contenus personnalisées. Mieux que tout autre documentation, cette vidéo produite par la Fondation europeana, explique en 3 minutes ce qu’est le web des données ouvertes et liées et pourquoi il est devenu si important pour la diffusion de la culture.

Le développement de cette infrastructure commune peut être pris en charge par l’État, comme c’est le cas pour Europeana, où l’Union européenne et chacun des états contributeurs, soutiennent les infrastructures et ressources qui permettent aux institutions culturelles de publier leurs données collectivement.  L’État peut également faire appel au milieu académique et au secteur de la recherche, à l’image de l’entente récemment conclue, en France, entre le Ministère de la Culture et de la Communication et l’Inria, afin de soutenir le projet SemanticPedia.

Bien que le web sémantique soit utilisé dans des domaines aussi divers que les services hydroélectriques (Hydro-Québec) et la radiodiffusion (BBCMusic), nous persistons à nous tourner vers des technologies conventionnelles pour diffuser nos contenus culturels. Passer de l’informatique au numérique est clairement un changement difficile à opérer, même dans  une industrie de pointe.

Pour aller plus loin

Pour les technophiles: Le web sémantique en 10 minutes, vidéo produite lors de l’édition 2016 du colloque sur le web sémantique au Québec, dans le cadre du 84e congrès de l’ACFAS.

Déclaration des communs numériques pour un Québec postindustriel

Il n’est pas minuit moins cinq, nous avons dépassé minuit. C’est fait !
/…/ Nous allons vivre dans un monde postaméricain, postInternet, post néolibéral et postmoderne, Michel Cartier

Société post-industrielle et ses modèles, par Michel Cartier, Le 21e sicèle

Dans Le 21e siècle, Michel Cartier réalise une extraordinaire synthèse des mutations que nous traversons, Bien plus qu’une révolution technologique, c’est un véritable changement de société qui s’est amorcé. Et il se fera avec ou contre nous.

C’est dans cette perspective que près d’une vingtaine d’associations, collectifs, entreprises et organismes sans but lucratif, qui jouent un rôle actif dans l’écosystème numérique québécois, s’unissent pour signer une Déclaration des communs numériques dans le cadre du processus de consultation de la Stratégie numérique du Québec.

La Déclaration affirme l’urgence de remettre le numérique au service de l’humain, de ses capacités fondamentales et des biens communs afin d’améliorer la vie des gens et de soutenir une démocratie plus inclusive.

Démarche de cocréation et processus itératif

FACIL et les collaborateurs du Café des savoirs libres se sont proposés d’inviter divers associations, collectifs, entreprises et organismes sans but lucratif à participer à la cocréation d’une déclaration commune plutôt que de contribuer individuellement à la consultation gouvernementale. Le 12 novembre 2016, lors d’une première rencontre, à Montréal, à la bibliothèque Mordecai Richler, les participants se sont entendus sur des principes généraux plutôt que sur des moyens, afin de rassembler des signataires partageant les mêmes préoccupations. La démarche se veut itérative et ouverte aux regroupements et associations qui se reconnaîtront dans cette déclaration ou qui souhaiteraient s’en inspirer pour élaborer leur propre document.

Les signataires de la Déclaration croient :

  • Que le gouvernement doit s’assurer que  les citoyen.ne.s et les membres de la société civile soient davantage engagé.e.s dans l’élaboration de cette Stratégie du numérique qui a des implications dans la fabrique de leur vie aujourd’hui et demain;
  • Que le gouvernement se doit d’être exemplaire en s’engageant à amorcer en son sein les changements organisationnels et culturels requis afin de moderniser l’État, de s’ouvrir à la démocratie participative et d’améliorer les services aux citoyens (dépoussiérons le rapport Gouverner ensemble, présenté en 2012 par Henri-François Gautrin , alors député de Verdun et leader parlementaire adjoint du gouvernement);
  • Que de nombreuses voix n’auront pas eu les moyens et les capacités d’être entendues et
  • Que des questions fondamentales n’auront pas été posées et discutées à travers la méthode de consultation actuelle.

La Déclaration soulève certaines d’entre elles.
Lire la Déclaration des communs numériques (PDF, 56 Ko)

Libérer le potentiel de nos données culturelles ou laisser d’autres en tirer profit

Silos riachuelo

Tu peux produire de l’excellent contenu, mais s’il ne fait pas partie du web, il ne fait pas partie du discours universel.

Tim Berners-Lee, en entrevue avec Jean-François Coderre pour La Presse.

C’est une affirmation que de nombreux états, institutions et entreprises tiennent désormais pour une réalité. Une réalité que plusieurs expérimentent depuis quelques années déjà et qui s’impose encore davantage à ceux qui observent les transformations qui sont à l’œuvre  dans le web , notamment du côté des moteurs de recherche.

Alors, ne devrions-nous pas élaborer une approche stratégique afin de regrouper et de structurer notre offre culturelle plutôt que d’encourager la production de silos d’informations qui sont difficilement exploitables ?

Comment tirer notre épingle du jeu numérique ?

Il faut nous attaquer à la dispersion de l’offre culturelle, d’une part, et d’autre part, à l’absence de vision transverse sur les données. Autrement, incapables de développer nos propres modèles d’exploitation numériques, nous risquons d’être confinés aux rôles de fournisseurs et de clients de plateformes beaucoup plus attractives et efficaces que nos sites web.

Principal défi: sauf dans des domaines, comme les bibliothèques et  les archives, les organisations ont, en général, peu d’intérêt ou de ressources à investir pour la production de métadonnées standards. Cela pourrait cependant changer.

Données structurées pour moteurs de recherche en quête de sens

Les moteurs de recherche privilégient de façon croissante les contenus web dont la description leur est fournie par des données structurées (appelées quelquefois,métadonnées embarquées). Schema est le modèle de métadonnées soutenu par les grands acteurs du numérique, tels que Google, Microsoft et Apple afin d’alimenter les algorithmes qui fournissent de l’information plutôt que des listes de résultats. Google offre même aux développeurs des modèles descriptifs pour des types de contenus dont la liste s’allonge progressivement.

L’utilisation de la base de connaissance Knowledge Graph, d’un modèle de métadonnées qui est dérivé de la syntaxe du web sémantique (RDF ou Resource Description Framework) et d’un  format d’encodage de données liées (JSON-LD ou Java Script Object Notation for Linked Data) témoigne de la préférence de Google pour le web des données et les liens permettant de générer du sens.

Avec Schema, qui facilite l’intégration des données dans des pages HTML (il existe également des extensions spécialisées pour WordPress), les robot indexeurs et les algorithmes des moteurs de recherche deviennent donc beaucoup plus performants. Il n’est déjà plus nécessaire de quitter leur interface pour trouver une information ou découvrir, par exemple, de nouveaux groupes musicaux.

La production de données structurées est une technique qui deviendra rapidement aussi essentielle que l’optimisation de pages web. Mais une technique, aussi efficace soit-elle, n’est qu’un moyen et ne peut remplacer une stratégie.

Regrouper et structurer notre offre culturelle

Les données doivent pouvoir être extraites des silos existants et reliées entre elles grâce à des métadonnées communes. Les éléments d’information produits par chacun des acteurs du milieu des arts et de la culture peuvent ainsi être reliés de façon cohérente afin de constituer une offre d’information globale et riche et de nous fournir une meilleure visibilité sur les données relatives à l’accès et à l’utilisation de contenus.

Comment accompagner la transition ?

Comment extraire les données descriptives des bases de données et les normaliser ? Comment définir les métadonnées qui formeraient les éléments descriptifs essentiels pour permettre de relier entre eux des ensembles de données qui  utilisent des référentiels standards mais différents ? Et, surtout, comment convaincre les producteurs de données de l’importance de l’interopérabilité et de la structuration intelligente des données ?

Dans cette perspective et afin de travailler collectivement à définir des pistes d’action, nos politiques et programmes devraient jeter les bases d’un projet de mise en commun des données culturelles en soutenant:

  • L’adoption des meilleures pratiques en matière d’indexation de contenu avec des métadonnées et une syntaxe de description qui s’adressent aux machines;
  • L’élaboration d’un un ensemble de métadonnées de base (modèle de médiation) qui permette de « faire la traduction » entre les différents standards et vocabulaires employés selon les domaines (musique, cinéma, arts visuels) et les missions (bibliothèque, archives, commerce, gestion de droits);
  • La libération des données qui décrivent nos créations artistiques, nos produits culturels, nos talents et notre patrimoine. Les données ouvertes constituent une première étape vers la diffusion de données ouvertes et liées.
  • L’acquisition des compétences techniques et technologiques qui sont requises afin de concevoir et de maintenir des outils pour faciliter la saisie et la réutilisation des données par les acteurs concernés.
  • L’harmonisation des différents modèles d’indexation documentaire (référentiels transversaux pour la production des données culturelles, cartes d’identité des biens culturels) au sein du Ministère de la Culture et des Communications.
  • Une étroite collaboration entre les institutions et les organismes producteurs de données autour de la rédaction d’une politique des métadonnées culturelles.

On ne devient numérique qu’en le faisant. Mais c’est un chantier qui repose davantage sur la collaboration et la mise en commun de l’information que sur la technologie.

Musées: des données ouvertes aux données ouvertes et liées

Données ouvertes et liées: connexions possibles entre les données de différentes institutions.
Si nos collections étaient dans le web des données, elles pourraient se lier aux données mondiales de la culture grâce aux métadonnées descriptives.

Comment les musées peuvent-ils rester pertinents dans l’espace numérique ? Alors que la recherche et la découverte de nouvelles connaissances passent par l’intermédiation des moissonneurs de données, robots indexeurs et algorithmes de filtrage, la richesse des institutions de mémoire collective n’est ni accessible, ni compréhensible à ceux-ci.

En sortant de leurs voûtes technologiques les données qui décrivent les objets composant leurs collection, les musées peuvent multiplier les opportunités afin qu’elles se trouvent sur le parcours des machines et des internautes.

Libérer des données pour développer de nouvelles compétences numériques

Cependant, pour publier des données dans le web, il faut convertir celles-ci afin de leur donner des métadonnées et une syntaxe qui soient compréhensibles pour des machines. Même limité à une petite collection d’objets, ce chantier s’avère exigeant pour une équipe ne disposant pas des connaissances des modèles et standards de métadonnées, ainsi que des technologies du web sémantique. C’est pourquoi libérer un ensemble de données constitue un projet idéal pour se familiariser avec les concepts et les enjeux spécifiques à l’exploitation de données dans le web.

Un exemple ? Nathalie Thibault (Musée national des beaux-arts du Québec) et Isa Mailloux (Musées de la civilisation) partagent leurs expériences acquises avec des projets de données ouvertes.

De données ouvertes à données ouvertes et liées: quoi, pourquoi, comment

La vidéo précédente est tirée du dossier Données ouvertes au musée préparé par la Société des musées du Québec (SMQ).  C’est sur le thème des données ouvertes que cette dernière avait organisé les conférences et discussions de la journée professionnelle du 22 juin dernier. Dans la perspective du web des données, de l’apprentissage machine et du traitement algorithmique de l’information, les données ouvertes et liées apparaissent comme la suite logique des données ouvertes. Conçu en collaboration avec l’équipe de la SMQ, le document (PDF 11,2 Mo) qui accompagne les vidéos des présentations a pour objectif de présenter de façon accessible le quoi, le pourquoi et le comment des données ouvertes et des données ouvertes et liées dans le contexte spécifique aux collections muséales.

De la découvrabilité à l’intelligence artificielle

Publier des données dans le web permet d’opérer des changements radicaux, mais nécessaires dans un contexte de transformation numérique:

Exposer l’information et aller à la rencontre des publics

Il faut sortir l’information des voûtes technologiques, car celle-ci a plus de valeur pour l’utilisateur, lorsqu’elle peut être mise en relation, enrichie et contextualisée, que lorsqu’elle est isolée. Dans une économie de l’attention mondialisée, offrir une information tissée en réseau, navigable et exploitable dans le web est plus stratégique qu’attendre la visite d’internautes, chacun sur son site web.

Collaborer et mutualiser les ressources et compétences

Puisque les réseaux se construisent sur la confiance, il faut considérer les autres institutions et acteurs du domaine culturel comme des alliés et, possiblement, des partenaires potentiels afin de travailler collectivement à rendre nos sources d’information interopérables. Ensemble, nous pouvons réaliser beaucoup plus et beaucoup mieux.

Faire des liens et générer plus d’information

Grâce aux métadonnées qui en précisent le sens (par exemple, les métadonnées creator ou subject permettent de distinguer une personne dans son rôle de créateur d’une œuvre ou de sujet d’une œuvre), il est possible de relier entre elles des données provenant de sources différentes. Et ceci, même si les modèles de métadonnées employés ne sont pas les mêmes, pour autant que ces derniers soient issus de référentiels standards et ouverts. La recherche d’information n’est donc plus limitée à un ensemble d’éléments fini et prévisible tel que le contenu d’une base de données. Par le jeu des relations ou par inférences, elle peut déboucher sur une nouvelle information qui n’était pas présente dans l’ensemble initial.

Penser agrégation de données plutôt que sites web

Parce que les données constituent le capital de l’économie numérique, libérer des données permet d’acquérir des connaissances et pratiques essentielles pour le développement de produits et services innovants. Il ne faudrait cependant pas se satisfaire de la production d’ensembles de données constituant, même au sein du domaine muséal, des silos d’information non exploitables dans le web et non-interopérables. Les données ouvertes sont donc une étape vers les données ouvertes et liées et la possibilité de réaliser l’agrégation des données culturelles québécoises.

Le web sémantique permet d’élaborer des requêtes et de programmer des algorithmes qui réalisent des opérations de raisonnement en mettant en relation des informations faisant du sens. Les données ouvertes et liées nous amènent à l’intelligence artificielle grâce à laquelle nous pouvons étendre le champ de nos connaissances et avoir, sur nos collections, une perspective intégrée que ne peuvent nous donner des bases de données isolées les unes des autres.

Web des données: les connexions qui transforment

Web des données depuis 4 ans (2010).

Comme il est possible de le constater en effectuant une recherche avec Google, le web se transforme progressivement et, avec lui, les systèmes d’information.

Nous passons de bases données qui sont conçues pour retrouver une information à des données ouvertes et liées qui, publiées dans le web, permettent à des machines d’établir des connexions et de générer, par inférence, une information qui ne se trouve pas dans notre base de données.

Sélection de lectures parmi mes signets les plus récents sur Diigo:

Connexion

Le web a été conçu pour être exploré par des humains et par des machines. Pour les modèles d’affaires numériques, la découverte de ce que nous ignorions a beaucoup plus de valeur que la recherche de choses que nous connaissons.  C’est, notamment, pour cette raison que les géants du numériques investissent dans les technologies du web sémantique (ou web des données) car elles permettent de représenter les connexions possibles entre différents éléments d’information.

“The value that I see going forward is the linking part of the data environment,” Wiggins added. “You start searching at one point, but you may be linked to things you didn’t know existed because of how another institution has listed it. This new system will show the relationship there. That’s going to be the piece that makes this transformative. It is the linking that is going to be the transformative.”

Searching for Lost Knowledge in the Age of Intelligent Machines – As search engines are radically reinvented, computers and people are becoming partners in exploration.

Curation de données

Nouvelle compétence clé: la curation de données, à la quelle on ajoutera le nécessaire esprit critique qui ne peut être remplacé par les algorithmes.

Avec tous les algorithmes statistiques et tous les outils d’analyse automatique de données (« big data analytics ») du monde, nous aurons encore besoin d’hypothèses causales, de théories et de systèmes de catégorisation pour soutenir ces théories. Les corrélations statistiques peuvent suggérer des hypothèses causales mais elles ne les remplacent pas. Car nous voulons non seulement prédire le comportement de phénomènes complexes, mais aussi les comprendre et agir sur la base de cette compréhension. Or l’action efficace suppose une saisie des causes réelles et non seulement la perception de corrélations. Sans les intuitions et les théories dérivées de notre connaissance personnelle d’un domaine, les outils d’analyse automatique de données ne seront pas utilisés à bon escient. Poser de bonnes questions aux données n’est pas une entreprise triviale !

La litéracie en curation de données

Médiation

Comment éveiller des décideurs aux changements radicaux qui sont annoncés partout, mais qui ne s’expérimentent pas dans le quotidien puisqu’il se transforme de façon beaucoup plus lente et progressive ?

In addition to the artworks and product demos, there are video infographics explaining what companies can and are doing with your data right now, whether it’s credit score calculation, email metadata analysis, or how your wifi-enabled smartphone is basically always snitching on you.

Once you’re thoroughly alarmed by the reality of what we have given up in freedom for the conveniences wrought by our ad-driven world, the team has helpfully created a Data Detox Bar where you can learn about reasserting control over your network existence and limiting your exposure. And the entire exhibit is staffed with all white-wearing “Ingeniouses” who will answer questions or just provide a shoulder to scream into after discovering that there is no such thing as “anonymized data.”

For the truly curious, of which I am one, there are workshops and presentations that provide an even deeper look into the gaping maw of our networked world.

Go to The Glass Room. If Black Mirror Had a Showroom, This Would Be It

Contenus culturels: sous, sur ou dans le web ?

Mise à jour 2016-12-10: Clarifications suggérées par Christian Aubry. Illustration: substitution du terme « lisibles » par « compréhensibles ». Conclusion: clarification du sens du paragraphe.

Sous, sur ou dans le web ? Nos contenus culturels sont-ils dans le web des données ?
Nos contenus culturels sont-ils dans le web des données ? Rapport-synthèse produit pour la SODEC, avril 2016

Où en est le web ? Les signes d’une transformation importante sont bien présents, mais diffus et disséminés parmi les différentes facettes d’un amalgame de technologies, connaissances, modèles de pensée, industries, usages et comportements. L’annonce d’une initiative européenne de valorisation de la connaissance dans un web spatiotemporel, Time Machine, évoque une très proche discontinuité :

La seconde révolution de l’Internet commence maintenant, avec la mort annoncée des moteurs de recherche du présent et l’entrée en scène d’une manière d’indexer l’information.

Nous sommes entrés  dans une ère où il ne sera plus nécessaire de quitter l’interface d’un moteur de recherche pour accéder à la connaissance et où les applications de recommandations s’alimentent à de larges ensembles de données structurées et signifiantes.

De moteurs de recherche à moteurs de réponses et de connaissances

La liste de résultats des moteurs de recherche fait graduellement une place de choix à une réponse ou une proposition. Bien que les machines ne parlent pas le langage des humains, elles peuvent interpréter la syntaxe et les marqueurs qui sont utilisés spécifiquement pour décrire  une chose, une personne ou un concept abstrait.

La fiche qui apparaît dans le coin supérieur droit de l’écran du moteur de recherche Google tend à prendre plus d’espace alors que nous apprenons à publier l’information que nous souhaitons visible, persistante et connectée. Pour cela, il faut aller bien au-delà des techniques d’optimisation de pages web et apprendre à publier les données qui décrivent nos contenus selon des modèles normés. L’information représentée selon un modèle et des métadonnées standards devient alors  compréhensible et exploitable pour les applications qui ratissent le web.

Du web des documents au web des données (et du sens)

Mais où sont les données qui décrivent nos contenus culturels ?Elles sont sous le web, malheureusement Les répertoires, collections, fonds et même, les calendriers de représentations et de tournées sont stockés sous forme de bases données. Celles-ci ne sont pas accessibles aux machines qui repèrent et collectent des données pour les moteurs de recherche, agrégateurs, systèmes automatiques d’archivage et autres moissonneurs de données qui s’activent dans le web. Même si ces machines avaient accès aux bases de données, elles ne disposeraient pas des clés nécessaires pour reconstituer et interpréter l’information.

Les modèles numériques carburent à la donnée

Au constat de l’absence de notre patrimoine et de nos productions artistiques et culturelles du web s’ajoute celui de l’absence d’une culture de la donnée.  Comme je le partageais dans un mémoire sur le renouvellement de la politique culturelle, sans maîtrise de la donnée:

  • Les tenants et aboutissants de la transition numérique accomplie par les précurseurs nous échappent et nous n’en retenons que les manifestations externes.
  • Nous demeurons uniquement les fournisseurs de contenu des plateformes qui tirent dorénavant plus de valeur des données décrivant ces contenus et celles qui sont générées par leur utilisation que des contenus eux-mêmes.
  • Nous ne pouvons pas repérer et interpréter les signaux faibles du changement et nos indicateurs de mesure ne permettent pas une lecture adéquate des multiples facettes de la vie culturelle dans nos univers physiques et numériques.
  • Nous nous limitons à la promotion des nouveautés pendant que nos catalogues, répertoires et collections, échappent à la découverte et à la possible réutilisation qui leur donnera une seconde vie.

Afin d’illustrer mon propos, voici une anecdote: j’ai passé près de deux heures à explorer de nombreuses œuvres musicales en me renseignant sur la musique western. J’ai exploré les chansons des sœurs Boulay et je me suis éparpillée entre des productions commerciales et artisanales. Je n’ai pas quitté Google, en passant de vidéos à des listes de titres populaires.

C’est bien pour la découverte de la musique d’ici, mais:

  • Qui a collecté mes données personnelles et d’usage ?
  • Qui a accru sa connaissance d’un marché en analysant mon comportement et mes préférences ?
  • Qui a engrangé la matière première qui fait de ses services, aussi efficaces qu’attractifs, un modèle d’affaires extrêmement profitable ?

Découvrabilité: pour développer une culture de la donnée

Ce n’est pas la découvrabilité numérique qui fait la réussite des modèles d’affaires des plateformes numériques, c’est ce qui lui permet de réaliser son potentiel: l’exploitation et la valorisation de l’information. Or, dans nos universités, nos programmes de sciences de l’information sont presqu’exclusivment orientés vers la gestion de collections de documents et, du côté des technologies de l’information, le web des données n’est qu’un sujet optionnel du programme de maîtrise. Il serait temps d’élaborer un programme universitaire de deuxième cycle pour allier les perspectives et connaissances en information (indexation et modélisation) et en informatique (web sémantique).

Si nous ne maîtrisons pas les principes et techniques nécessaires à l’exploitation de nos contenus culturels dans le web, comment pourrons-nous soutenir les nouveaux acteurs d’une économie numérique ? Comment répondrons-nous aux besoins d’expertise dans les créneaux émergents comme l’intelligence artificielle, les crypto monnaies (Bitcoin) ou les registres de transactions distribués (Blockchain) ?