Ne pas être préoccupé de la présence et de la visibilité des contenus des industries culturelles et créatives sur le web, c’est, pour une institution: attendre d’être obsolète ou, pour une entreprise: être bientôt ou déjà mise hors jeu par les grands intermédiaires technologiques.
Mais dans tous les cas de figure, c’est être les grandes perdantes de la guerre que se livrent les grandes plateformes pour occuper nos écrans et promouvoir les contenus qu’elles ont sélectionnés en fonction de leur stratégie. Cette stratégie repose fondamentalement le transfert de la création de valeur du produit à la plateforme. Dans ce modèle, ce sont les règles d’affaires ,et non les produits qui s’adaptent selon les besoins des marchés. Ces règles d’affaires sont les algorithmes qui traitent les métadonnées des catalogues, ainsi que les données générées par les interactions avec les consommateurs.
Dans un billet publié la semaine dernière,sur la découvrabilité des contenus culturels, j’ai dénoncé sur la faible exploitation des catalogues, répertoires et archives de contenus et sur la perpétuation des silos de données qui font que nos produits culturels n’ont pas de masse critique, et donc d’existence, dans le web des données.
Parler de découvrabilité sans s’interroger sur les conditions requises pour provoquer la rencontre de l’offre et la demande ou pour favoriser la fortuité du croisement entre une attention disponible et une offre, c’est chercher une médication sans avoir établi de diagnostic médical.
Bien sûr, la découvrabilité est un concept qui ne date pas d’hier. À tout le moins, dans le domaine des sciences de l’information, c’est un élément familier de l’économie du document. Et certainement, il y a différents parcours de découverte pour les contenus: critique, recommandation, promotion, en ligne et hors ligne.
Mais le parcours le plus rentable est celui qui permet de tracer les contenus, de suivre leur consommation, de collecter les données sur lesquelles reposent des décisions tactiques et stratégiques. Ce parcours est celui va de la mise en ligne du catalogue (ou pour les plus avancés, la mise à disposition des données du catalogue en mode public ou ouvert) à l’enrichissement des données d’usage par les consommateurs et, indirectement, par les partenaires.
C’est ce parcours que nos institutions culturelles , comme nos entreprises de la culture et du divertissement, ne perçoivent pas encore comme une condition essentielle de survie, mais surtout, d’autonomie et de contrôle sur le pétrole de l’économie numérique: la donnée.
Comme je le mentionnais, dans le blogue de Direction Informatique, à propos du commerce électronique:
Le catalogue de produits demeure le maillon faible du commerce électronique au Québec. Pour trop d’entreprises, c’est encore une brochure ou, au mieux, une arborescence de site web. Mais pour les plateformes commerciales à succès, il s’agit plutôt d’un ensemble de données structurées s’adressant aux consommateurs afin de faciliter leurs décisions d’achat. Et pour celles qui sont entrées dans l’économie numérique, c’est aussi la composante d’un système d’information stratégique.
Pour avoir un aperçu de ce que pourrait être ce système d’information stratégique, en culture, il faut absolument lire le 3e cahier Innovation et prospective de la CNIL. Pendant ce temps, nos institutions de mémoire collective (bibliothèques, musées, archives) découvrent le web social et participatif et se demandent s’il faut ouvrir les contenus à la participation du public.
Alors, serons-nous uniquement les clients et utilisateurs des grandes plateformes ou deviendrons-nous les créateurs et bâtisseurs de cette économie numérique?
Bonjour Josée,
J’apprécie beaucoup tes articles et tes réflexions.
J’ai travaillé jusqu’à tout récemment avec BAnQ sur la découvrabilité des contenus culturels justement. J’ai participé activement à développer une stratégie numérique centrée sur les usages et les utilisateurs et surtout à documenter des tactiques très spécifiques qui feraient en sorte de décloisonner les contenus numériques, tous types confondus, avec l’objectif précis de les faire exister partout et non pas seulement dans un site web « fermé ». Recherche élargie, découverte, réutilisation, partage, enrichissement et même acquisition sont en effet les mots-clés d’une telle approche.
Comme tu l’as déjà souligné ailleurs, la pensée « informatique » dans nos institutions publiques nuit à l’émergence d’une pensée réellement numérique. Le manque de flexibilité dans l’embauche de ressources y est également pour quelque chose. Il n’y a tout simplement pas assez de personnes pour la charge de travail à faire, ce qui va forcément ralentir le rythme du passage au numérique véritable.
Un autre point très important: j’aurais souhaité que BAnQ rende disponible les principaux documents de réflexion stratégique qui ont été créés durant mon mandat, comme le font Gallica, Europeana et même la très petite équipe de Digital Commonwealth au Massachusetts (et dont je me suis inspiré abondamment). Ça démontrerait qu’il se passe des choses en numérique dans nos institutions culturelles au Québec et ça ferait avancer les connaissances. Malheureusement, personne n’y a encore donné suite, non pas par manque de volonté, mais je croirais plutôt par manque de ressources tout simplement.
Au plaisr de te lire encore.
Merci Jean-François, pour ce partage d’expérience. Les spécialistes de l’information sont malheureusement des cordonniers mal chaussés:nos réseaux professionnels, hors bibliothèques/archives, ne sont pas très étendus et nous sommes peu ou pas informés des projets en cours. Nous manquons de ces interactions et échanges qui feraient émerger de nouveaux outils et, surtout, connaître de nouvelles pratiques.
Je travaille sur un projet de diffusion de données du patrimoine québécois grâce au web sémantique. Avant d’être technologique, c’est un projet collaboratif où les enjeux d’interopérabilité de métadonnées descriptives sont au cœur d’une démarche qui vise ultimement à développer une présence sur le web, ensemble, de façon concertée et à apprendre à maîtriser et à exploiter les données.
Je vais me renseigner afin de d’accéder aux fruits de la réflexion stratégique à laquelle vous avez participé. BAnQ est un des partenaires du projet sur lequel je travaille actuellement.
Au plaisir d’une prochaine rencontre.
On peut s’en parler directement. Ça me fera grand plaisir de t’aiguiller dans la bonne direction. Tu as mon courriel je crois?
jf.