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Promesses du «BI» et réalités de l’information

Initialement publié dans le blogue de Direction informatique, le 13 novembre 2013.

Si les collections des bibliothèques étaient gérées comme on gère l’information dans les organisations, nous aurions des bibliothèques du Moyen-Âge, où seul un moine érudit pourrait trouver l’information dont vous avez besoin.

Avec ses innombrables répertoires de fichiers, ses nomenclatures incompréhensibles, ses cachettes et ses cul-de-sac, l’écosystème de l’information en entreprise ressemble bien plus à la bibliothèque cauchemardesque du roman Le nom de la rose qu’à un centre de données parfaitement bien organisées. L’informatique décisionnelle ou business intelligence en anglais réaliserait-elle des prodiges ?

Statistiques et indicateurs

La réalité de la gestion et de l’exploitation de l’information dans une organisation a peu changé depuis des décennies. Si la capacité de traitement et d’analyse de l’informatique décisionnelle a considérablement évolué, les problématiques de la gestion stratégique de l’information sont demeurées les mêmes :

Les silos informationnels

C’est l’un des défis les plus importants de l’informatique décisionnelle. Produire une information exacte et complète à propos d’une situation ou d’un événement requiert la mise en relation de données et d’informations diverses et en provenance de différents systèmes et unités d’affaires.

C’est un parcours qui comporte des barrières structurelles (directions, divisions, services), culturelles (rétention de l’information, lutte de pouvoir) et technologiques (systèmes fermés et incompatibles, absence de formats de métadonnées standards).

La partie immergée de l’iceberg

Tel que commenté dans un précédent billet, les organisations investissent davantage dans l’informatique que dans l’information. Rares sont les entreprises qui ont su instituer une véritable culture qui valorise sa gestion et son partage. Le repérage, la collecte et le traitement de l’information sont pourtant des activités quotidiennes : aux courriels, échanges verbaux, annotations de document, présentations et rapports auxquels s’ajoutent aujourd’hui les contenus transitant sur les plateformes collaboratives et les réseaux sociaux.

Cette information n’est pas constituée de données structurées, elle n’est pas catégorisée, elle n’est pas toujours explicite (plus souvent implicite ou ambiguë) et elle est difficilement repérable à l’aide d’un moteur de recherche. Elle a pourtant autant de valeur que celle qui se trouve parmi les données structurées et unifiées dans un entrepôt de données.

L’absence de contexte

La mise en contexte des données est essentielle à une information de qualité. Les indicateurs des systèmes d’aide à la décision projettent une réalité : celle qui provient des données structurées, des calculs et des rapports. On peut s’interroger sur leur capacité à traduire la complexité des multiples facettes d’une organisation. Prenons par exemple la baisse des ventes d’un produit qui peut être liée à un ensemble de facteurs et dont les indicateurs avancés sont, entre autres, des données non explicites et des contenus non structurés comme des échanges de courriels, le tout en provenance de sources diverses :

  • La gestion du personnel (roulement élevé du côté des représentants);
  • Le service à la clientèle (réclamations des consommateurs);
  • La veille stratégique (succès d’un produit concurrent);
  • Le marketing (dénigrement sur les médias sociaux);
  • La gestion des stocks (difficulté d’approvisionnement);
  • La production (baisse de la qualité des pièces d’un fournisseur);
  • Les ventes (commentaires d’acheteurs: produit vieillissant).

Pour contextualiser l’information, il faut pouvoir faire des liens entre les ensembles de données. Une tâche quasi impossible, compte tenu des silos informationnels.

Intelligence collective et informatique décisionnelle

L’intelligence collective d’une organisation repose sur une approche méthodique de la gestion de l’information qui s’appuie sur des standards reconnus, comme les formats de métadonnées descriptives. Elle devrait recourir à des compétences spécialisées dans le traitement et l’organisation des contenus. Elle concerne par ailleurs tous les membres de l’organisation. À cet égard, il faut développer une culture de l’information qui encourage la participation de chacun à la qualification (signalement, validation, modification) et à la gestion des contenus (sélection, mots clés).

L’informatique décisionnelle repose essentiellement sur des données structurées. La technologie ne constitue donc qu’un élément de la solution. Ce sont l’expertise et l’expérience humaine qui contribuent à enrichir cette matière brute en l’organisant, en la reliant à d’autres informations, en la contextualisant et en la partageant.

Tant que les silos informationnels perdurent et qu’il n’y a pas de véritable culture de la gestion de l’information, l’informatique décisionnelle ne peut être vraiment efficace.

Dans ces conditions, ne croyez-vous pas qu’une prise de décision éclairée relève du miracle ?

L’information n’est pas la priorité des organisations

Initialement publié dans le blogue de Direction informatique, le 31 octobre 2013.

On dit que Lewis Platt, PDG de Hewlett-Packard dans les années 80, se serait un jour exclamé : « Si, au moins, HP savait ce que HP sait, nous serions trois fois plus productifs. »

Chef d’entreprise clairvoyant et progressiste, Platt reconnaissait que la technologie, seule, ne peut apporter de solution à la difficulté d’accéder à l’information dans son organisation et de faire les connexions nécessaires pour faire du sens.

Si l’offre de solutions technologiques est aujourd’hui abondante, l’information ne semble toujours pas un enjeu prioritaire pour bon nombre d’organisations.

Un actif stratégique, vraiment?

Selon le célèbre théoricien du management Peter Drucker, les données, sans la perspective que donnent les connaissances et l’expérience, ont peu de valeur dans le cadre d’un processus de décision:

Information is data endowed with relevance and purpose

Traduction libre :

L’information c’est des données pertinentes et qui ont une utilité.

Les enjeux et usages stratégiques de la gestion de l’information sont nombreux et distribués dans toute l’organisation :

  • accès à l’information – soit la bonne information, au bon moment;
  • connexions entre les données et les ensembles de données;
  • des données qui font du sens (contexte sémantique);
  • moteurs de recherche  performants;
  • intranets facilitant les échanges de connaissances et le partage d’expertise.

Si l’information est un actif stratégique, rares sont pourtant les entreprises et gouvernements qui accordent autant de ressources à son organisation, son traitement et son analyse qu’à l’acquisition de technologies permettant de la stocker et de la manipuler.

Où sont les ressources?

Thomas Davenport est l’auteur de Information Ecology, le premier ouvrage sur l’approche intégrée de la gestion stratégique de l’information. Selon lui, il y a confusion entre « information » (le contenu) et « informatique » (le contenant).

Despite titles like  » Information Services », « Chief Information Officer » and « Information Center », most such functions are preoccupied  with technology – if not hardware, then software, applications development, and communications. /…/ If you approached the Information Systems help desk of the typical company and asked, « Where can I find information on our competitors in South America? » I doubt you’d get more than a blank stare. 

Traduction libre :

En dépit de titres comme « Services d’information », « Directeur principal de l’information » et « Centre d’information », la plupart de ces fonctions sont concernées par la technologie – voire par le matériel, puis les applications, le développement de logiciels et les communications. /…/ Si vous vous adressiez au service d’assistance technique du service informatique de n’importe quelle entreprise et que vous demandiez, « Où puis-je trouver de l’information sur nos compétiteurs d’Amérique Latine ? » je doute que vous n’obteniez plus qu’un regard déconcerté.

Une piste pourtant maintes fois invoquée, mais rarement mise en œuvre, consisterait à implanter une gouvernance de l’information réunissant les spécialistes de l’informatique et de l’information. Il s’y élaborerait une vision commune de la gestion des actifs informationnels. La gouvernance des projets numériques est un sujet que j’ai d’ailleurs abordé récemment.

Le mirage de la solution technologique

L’informatique n’est pas une fin en soi : c’est une affirmation souvent entendue, mais les pratiques des entreprises et des administrations publiques traduisent une toute autre réalité. Yves Marcoux, spécialiste des documents structurés et professeur à l’École de Bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, observe dans une étude de la gestion de l’information au gouvernement :

On vivait avec l’impression que la solution résidait dans des investissements toujours plus grands en ressources technologiques (matériel d’abord, puis programmeurs, analystes, infrastructures réseau et logiciels ensuite). Il est maintenant généralement admis que cette façon de concevoir les choses est un cul-de-sac. À la rescousse se sont succédés des courants comme la programmation structurée, l’orientation-objet et une multitude de méthodologies d’analyse, de modélisation, de développement et d’évaluation de systèmes.

Le rapport d’étude a été déposé à l’intention du Directeur principal de l’information, en 2004. Il recommandait entre autres:

La gestion de l’information devait être abordée avec un mélange de pragmatisme et de méthodologie, mais surtout, en mettant l’accent sur les humains qui produisent et utilisent l’information plutôt que sur les technologies qui les aident à le faire.

Sommes-nous prêts pour l’économie du savoir?

Aucune solution de Big data ne pourra toute seule venir à bout d’une accumulation de données et de documents non structurés et sans attributs communs. Nous persistons à ne voir que le volet technologique de la solution. Or, nous passons actuellement d’une ère industrielle à une ère numérique au cours de laquelle le savoir aura autant de valeur que la production.

Si l’information est réellement le carburant de l’économie du savoir, alors il semble que nous soyons en train de construire des réseaux de pipelines sans nous soucier de l’approvisionnement en pétrole !

Appels d’offres, le maillon faible des projets numériques

Initialement publié dans le blogue de Direction informatique, le 2 octobre 2013.

Les systèmes informatiques et les sites Internet sont des parties intégrantes d’écosystèmes complexes. Or, demander à des fournisseurs de répondre à un appel d’offres pour la réalisation de projets numériques sans effectuer au préalable une véritable démarche d’analyse revient à demander à différents médecins de prescrire un traitement, basé uniquement sur une description de notre état de santé, sans examen, ni test. Un tel choix de traitement ne se ferait pas sans inquiétude.

Brouillard

Visibilité presque nulle

Il n’est pas surprenant de trouver dans les médias de nombreux cas de dépassement de coûts, comme celui du remplacement du système de commande de la Société de transport de Montréal. Bien que perçu comme un instrument de contrôle des coûts, le contrat à prix fixe est depuis longtemps décrié – cherchez « fixed cost projects » sur Google – comme un des principaux éléments qui contribuent à l’échec des projets en technologie de l’information. Cependant, peu de spécialistes se sont intéressés au problème de visibilité qui est courant dans un processus d’appel d’offres. Tim Bray, un développeur canadien qui a dirigé l’unité des technologies Web chez Sun Microsystems et qui travaille à présent au service des développeurs chez Google, s’est exprimé ainsi sur son blogue :

[…] that kind of thing simply cannot be built if you start with large formal specifications and fixed-price contracts and change-control procedures and so on. So if your enterprise wants the sort of outcomes we’re seeing on the Web (and a lot more should), you’re going to have to adopt some of the cultures and technologies that got them built.

Traduction libre :

Ce genre de chose ne peut être conçu si vous débutez avec de grandes spécifications formelles, des contrats à coûts fixes, des procédures de contrôle des changements et autres. Alors si votre organisation souhaite le genre de résultats que nous voyons sur le Web (et il y en aura plus encore), vous allez devoir adopter les cultures et technologies qui les ont rendus possibles.

À une note de veille que j’ai publiée en 2010, sur les projets dinosauresSylvain Carle avait ajouté, en commentaire, cette réflexion qui tient toujours la route :

Donc plus de petits projets, qui fonctionnent ensemble, sur des protocoles et standards web, small pieces loosely joined. Si c’est assez sécuritaire et « scalable » pour Amazon qui gère des millions en transaction chaque année, ça devrait être bon pour un gouvernement (en tenant compte des spécificités comme la vie privée, bien entendu, autre débat).

Complexité accrue

Les projets sont complexes parce qu’ils répondent à une variété de besoins et d’enjeux, dans un contexte qui change constamment. Ainsi, à une administration qui souhaitait faire développer une application pour publier des documents électroniques, j’ai soumis une liste d’éléments nécessaires à produire, dont voici un aperçu :

  • Analyse détaillée du contenu (propriétaires, audiences cibles, besoins spécifiques, typologie des documents);
  • Documentation de l’environnement technologique existant;
  • Sélection d’un format de publication;
  • Structure de classement;
  • Modèle de métadonnées;
  • Processus de traitement documentaire;
  • Sélection d’un logiciel de gestion documentaire;
  • Politique de gestion du système;
  • Interfaces Web et gestion des accès.

S’agissant d’un projet qui semblait limité à la seule dimension technologique, ce fut pour certains une grosse surprise. Ces éléments constituent pourtant des informations essentielles afin d’assurer la visibilité nécessaire à la préparation des offres de services. Ils contribuent également à évaluer le degré de complexité d’un projet pour mieux s’y préparer. Devrait-on encore faire des appels d’offres pour la réalisation de projets numériques d’une façon similaire aux appels d’offres pour l’achat de mobilier de bureau ou le pavage des routes? Est-il possible de rédiger une proposition sans pouvoir effectuer une analyse et un diagnostic précis? Les appels d’offres sont le maillon faible de nombreux projets numériques. Sommes-nous trop peu nombreux à partager cette opinion?

Mise à jour – 3 octobre 2013

Merci pour la large diffusion et les commentaires reçus; ceux-ci témoignent de la pertinence du sujet. Mais selon vous, comment s’assurer de la réussite d’un projet (échéancier, budget, atteinte des objectifs)? Quels sont les obstacles à l’amélioration du processus d’appel d’offres?

Gouvernance des projets numériques: une question de perspectives

Initialement publié dans le blogue de Direction informatique, le 14 août 2013.

Cloisonnement - Équipe en silo

Le numérique, c’est plus que de l’informatique. Alors, pourquoi la plupart des projets numériques sont-ils encore gérés uniquement dans une perspective « TI » ? Je ne suis pas la seule à poser cette question ni à croire qu’une gouvernance de projet élargie permettrait de composer avec la réalité complexe des organisations et de la société.

L’outil est-il la solution ?

Pour Evgeny Morozov, spécialiste de l’implication politique des technologies de l’information, les géants des technologies nous enferment dans un « solutionnisme » illusoire. Leur objectif ? Préserver un écosystème qui les avantage :

To Save Everything, Click Here : The Folly of Technological Solutionnism.

Il n’est pas nécessaire de partager ses opinions pour reconnaître que l’informatique est un outil de développement et non une fin en soi. Comment proposer une solution unidimensionnelle (technologie) à une problématique multidimensionnelle (enjeux politiques, changement organisationnel, approche cognitive, etc.) ?

Une perspective limitée

La politique interne, la culture organisationnelle et les silos informationnels ne sont que quelques exemples d’enjeux critiques qui sont occultés par une perspective de gestion de projet qui est essentiellement technologique. Cette problématique a d’ailleurs fait l’objet d’une étude conjointe des revues Harvard Business Review  et The Economist. Il en ressort que les chefs d’entreprise s’interrogent sur la capacité de leurs directeurs principaux de l’information (CIO) à comprendre les enjeux d’affaires à l’ère numérique.

A number of the conversations started with the assumption that social engagement, collaboration and analytics were not part of IT, but the responsibility of marketing.

Traduction libre: « Nombre d’entretiens ont débuté avec la présomption que l’engagement social, la collaboration et l’analyse d’audience web ne faisaient pas partie des TI, mais qu’ils relevaient du marketing. » (Jim Stikeleather, The CIO in Crisis: What You Told Us)

Déconnexion

Autre son de cloche : Dan Hill est consultant en intégration des pratiques des domaines de la technologie, des médias, du design et de l’urbanisme. Dans un essai qu’il a écrit à la demande de la London School of Economics sur le thème des villes intelligentes, il partage sans ménagement ce que plusieurs d’entre nous constatent dans divers secteurs d’activité.

Observe how Amazon and Net-A-Porter are changing the physical fabric of the high street; how Nike+ is changing how we exercise; how Kickstarter is changing the structure of the creative industries; how Apple has changed media; how Google is altering basic literacy, almost extending cognition; how Facebook and Twitter helped drive last years’ Peak News events.

Compare to your average municipality’s IT department: do we have the right people, the right culture, around the decision-making table?

Traduction libre: Observez comment Amazon et Net-A-Porter transforment les grandes enseignes commerciales; comment Nike+ transforme la façon dont nous faisons de l’exercice; comment Kickstarter transforme la structure des industries créatives; comment Apple transforme les médias, comment Google modifie l’alphabétisation, et même le processus cognitif; comment Facebook et Twitter ont contribué aux grands titres des actualités de l’année.

Comparez cela au service des TI de n’importe quelle municipalité : avons-nous les bonnes personnes, la bonne culture autour de la table où se prennent les décisions ? (Dan Hill, Essay : On the smart city; Or, a  » manifesto  » for smart citizens instead)

Multiplier les perspectives sur une problématique permet de trouver de meilleures pistes de solutions. Sortir du confort d’un système de référence unique favorise à coup sûr l’innovation. Si donc, un projet numérique est bien plus que de l’informatique, ne serait-il pas nécessaire d’adopter une approche transdisciplinaire pour une meilleure gouvernance de projet numérique ?

Poser la question, c’est… attendre vos réponses.

Hack journalisme et révolution de l’information

Les données sont la matière brute de l’information.

Raw data is an oxymoron, Lisa Gitelman, MIT Press

Si la mise en disponibilité de données ne suscite pas encore une avalanche de demandes de citoyens à la Table de concertation des données ouvertes, comme l’a déploré Stéphane Guidoin, les données constituent dorénavant un élément essentiels des salles de rédaction.

Les 15 et 16 juin derniers, Hack Journalisme (bravo aux organisateurs) attiré des participants très majoritairement composée de gens des médias et non de gens du Web, comme habituellement, lors des très nombreux événements organisés autour des usages du Web. Pourquoi ?

L’information comme sujet et non la technologie

Parce que le sujet de l’activité est l’information et non le Web (ou le numérique): le contenu plutôt que le contenant. D’ailleurs, la première journée a débuté avec des conférences/ateliers données par des professionnels de l’information.

Autre élément remarquable: l’inclusion de domaines d’expertise (géomatique, statistique) que seuls les événement sur les données ouvertes m’avaient donné l’opportunité de croiser.

J’ai apprécié le récit de Nicolas Delffon, géomaticien, qui, ces études en géographie à peine terminées, voit une partie de son apprentissage remis en question par la technologie de géolocalisation de Google Earth et les plateformes de cartographie collaborative. J’aimerais voir plus d’experts de secteurs divers, notamment, le domaine scientifique, nous parler de leur révolution de l’information.

Je crois que le temps de la découverte du numérique est passé et que nous devons maintenant contribuer à la mutation des métiers et à la pluridisciplinarité des équipes de production de contenu.

Ce qui s’y est dit

Ma sélection de tweets publiés lors de la première journée de Hack Journalisme: Hack Journalisme Montréal – 15 juin 2013 #hjmtl

La sélection et les commentaires de Jean-François Parent, journaliste financier (Finance & Investissement) sur l’ensemble de l’événement : HJMTL Hackjournalisme.

Plan numérique ou révolution de l’information ?

Moi aussi je suis étonnée. Pas tant en raison du retard numérique du Québec (les appels pour l’adoption d’un plan numérique ne datent pas d’hier), mais en regard des demandes exprimées au travers des propositions contenues dans la lettre.

Je suis tout aussi étonnée de la démarche choisie, par les tenants du web 2.0, pour les formuler et les communiquer publiquement. Comment faire la leçon du web 2.0 et de la démocratie ouverte aux entreprises et administrations publiques lorsqu’on emploie la même stratégie de communication ?

Agence gouvernementale

Proposer une nouvelle structure me semble d’un autre âge: celui du « on va mettre un homme là-dessus ». Ceci est une façon commode de déléguer le problème à un appareil administratif; on l’extériorise et on démobilise et on déresponsabilise ceux qui devraient être les acteurs des solutions de changement.

 Priorité au « numérique »

Le « quelque chose » numérique est un outil, un moyen d’arriver à des fins spécifiques. Je crois que c’est le changement de culture qui constitue la priorité. Sans ce changement, dans nos usages personnels, en société, en entreprise et, surtout dans nos administrations publiques, nous ne pourrons profiter pleinement des avantages des technologies de l’information. C’est comme être organisés comme des moines copistes à l’ère de l’imprimerie.

On ne peut pas critiquer une solution sans apporter de contribution à la démarche de résolution de problème. En prévision de l’ouverture du blogue annoncé par un des signataires de la lettre, Mario Asselin, voici comment je décrypte le problème et quelle est la piste de solution proposée.

Appel au changement

Cet appel au gouvernement pour un plan numérique est un appel au changement. Ce changement n’est pas de nature technologique, mais de nature profondément humaine. Les technologies de l’information, contrairement à ce qui est prétendu par les vendeurs de « solutions » ne sont que des instruments ou, au mieux, des catalyseurs: votre prochain projet numérique pourrait changer votre entreprise.

Donc, ce changement c’est revoir nos rapports:

  • comme citoyens, avec ceux à qui nous accordons la permission de nous représenter pour gérer nos collectivités dans notre intérêt commun.
  • comme employés ou patrons, au sein des organisations afin d’être reconnus pour nos compétences et nos contributions, et non pour le contrôle que nous exerçons sur l’information .
  • comme individus sociaux afin d’être connectés au monde qui nous entoure pour que nous réalisions que nos choix et nos actions individuels ont des conséquences à l’échelle planétaire.

Au coeur du plan numérique: l’information

« Privilégier le savoir sur l’avoir », énonce la 5e des 6 demandes, mais ce n’est pas le savoir, c’est l’information qui est au coeur de cette transformation. Une information surabondante qui est, paradoxalement, si difficile à trouver et à exploiter pour nos objectifs humains.

C’est le développement de nos capacités à analyser l’information, à la synthétiser et à raisonner et à prendre des décisions que nous devrions cibler derrière ce plan numérique. « Education is the new oil » a lancé Jim Whitehurst, le PDG de Red Hat, au cours d’une conférence TED sur l’économie de la révolution de l’information. Le savoir résulte de l’interaction de nos capacités intellectuelles avec l’information.

Si nous choisissons de privilégier le savoir sur l’avoir, c’est l’accès à l’information qu’il faut assurer par les moyens suivants:

  • Gouvernance de l’information
  • Gouvernance de projets
  • Ouverture des données publiques
  • Choix de technologies libres autant que possibles
  • Accessibilité de l’information pour tous : personnes handicapées, moins nanties, vivant en région éloignée.

Écoute et engagement sur le Web social

Hashtag-ifying for a better democracy

Engagement civique - Indicateur du Vivre mieux, OCDE
Engagement civique au Canada – Indicateur du Vivre mieux, OCDE

La présentation que Claude Théoret et moi avions proposée à South By Southwest dans la catégorie «Government and Civic Engagement» n’a pas été retenue. Dommage. En voici les grandes lignes :

In an era of unprecedented cynicism and distrust towards the electoral process, the self-organization of the social web is becoming a new space of civic engagement. Are hashtags the town halls of the future? Lessons learned from the student uprising in Québec.

  • How is trust established in policy debate online?
  • Why are facts sacred (and opinion worthless)?
  • Why should you engage with your adversaries?
  • What policy makers can learn from social listening?
  • Why is the emergence of the interest graph so important for policy planning?
Nous aimerions bien la réaliser, car le concept de l’engagement est un des piliers de la nouvelle économie du partage (voir l’article mentionné dans mon billet sur le sociofinancement ou financement collaboratif).

Plan numérique: faciliter le changement organisationnel

Un plan numérique peut-il être mis en oeuvre sans que soit opéré au préalable un profond changement de la culture organisationnelle ainsi que la révision des règles et procédures d’appels d’offres ? Ceux qui, comme moi, ont préparé des offres de services pour des projets gouvernementaux et privés comprendront l’ampleur et la profondeur des efforts à consentir pour faire advenir le virage numérique souhaité pour le Québec.

Dilbert.com

Changement organisationnel

Comme tous les ans depuis que je tiens ce carnet de notes, la demande d’un plan numérique pour le Québec refait surface. Cette année, un groupe de travail bénévole s’est constitué  et c’est très bien. Mais ma question initiale est d’autant plus pertinente quand on réalise que la culture et les procédures sont en grande partie responsables du peu d’avancement de ce qui aurait pu nous mener vers une stratégie numérique gouvernementale.

Une de mes notes de veille sur les projets dinosaures fait référence à cette problématique que Tim Bray a formulée très clairement:

The point is that that kind of thing simply cannot be built if you start with large formal specifications and fixed-price contracts and change-control procedures and so on. So if your enterprise wants the sort of outcomes we’re seeing on the Web (and a lot more should), you’re going to have to adopt some of the cultures and technologies that got them built.

It’s not going to be easy; Enterprise IT has spent decades growing a defensive culture based on the premise that you only get noticed when you screw up, so that must be avoided at all costs.

Sylvain Carle y avait ajouté un commentaire :

Donc plus de petits projets, qui fonctionnent ensemble, sur des protocoles et standards web, small pieces loosely joined. Si c’est assez sécuritaire et « scalable » pour Amazon qui gère des millions en transaction chaque années, ça devrait être bon pour un gouvernement (en tenant compte des spécificités comme la vie privée, bien entendu, autre débat).

Gouvernance de l’information

Ce texte vaut la peine d’être relu maintes fois afin de bien saisir tous les enjeux du changement qui sont liés à une façon de faire des projets informatiques qui n’a pas changé depuis la période pré-Web au Québec. J’insiste sur le qualificatif « informatiques » puisque ces projets sont essentiellement sous le contrôle des directions des technologies de l’information. Ce qui amène un autre élément essentiel de la mise en oeuvre d’un plan numérique : la gouvernance de l’information où toutes les parties prenantes sont réunies autour des projets numériques.  N’oublions pas qu’un projet est un  moyen pour atteindre des objectifs et non une fin en soi. Le rapport Gautrin, rendu public en mai 2012, fait une place importante à la gouvernance de l’information. Souhaitons que notre nouveau gouvernement ait la bonne idée de capitaliser  les efforts investis dans cette démarche.

Ceux qui sont visés par le changement

Changer la culture organisationnelle et les procédures internes et instaurer une gouvernance de l’information: on aura compris qu’un plan numérique pour le Québec ne pourra se réaliser sans la mobilisation et la participation active, et ce dès maintenant, des représentants de ceux qui sont visés directement par le changement: les fonctionnaires de l’État.

 

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Moment Twitlight Zone: lors de la publication de son billet, Doing it wrong, Tim Bray, était à l’emploi de Sun Microsystems, il est par la suite devenu Developer Advocate chez Google. Sylvain Carle occupe à présent une fonction similaire à celle de Tim, chez Twitter et les derniers billets de leurs blogues respectifs (sous les hyperliens) correspondent de façon étonnante.

Artisanat et loisirs techno

L’informatique comme activité de loisir et le bidouillage de gadgets technologiques ne sont plus l’apanage des geeks. Diverses activités du même genre sont destinées au grand public.

Écho Fab : atelier numérique communautaire
échoFab - Atelier numérique communautaire
  • Apprentissage de la programmation en mode interactif offert par Code Academy, une startup qui a récemment levé 10 millions de dollars à la suite de l’engouement suscité par son produit.
  • Des bibliothèques publiques qui, aux États-Unis, offrent des espaces et du soutien aux bidouilleurs technos (apprentis et confirmés) : Made in my bibliothèque.
  • Make : le faites-le vous même en mode techno.
  • Atelier de fabrication numérique, dont le concept a été popularisé par le MIT, le fab lab facilite la conception et le prototypage de machines-outils.
  • Un billet de Martin Lessard sur cette sous-culture numérique du « faire soi-même » : Un fab lab au Québec.
  • Explorer le Fab Lab Québec .

Le geek, c’est chic

Les passe-temps techno sont-ils un simple effet de mode résultant de succès de certains entrepreneurs du numérique ou la manifestation techno-numérique d’une sous-culture du développement durable ?

 

 

 

 

 

 

Analyse des médias sociaux : aller au-delà des évidences

Je réponds ici aux questions qu’un lecteur a formulées en commentaire de mon précédent billet.  Je le remercie d’avoir pris la peine de s’exprimer et de m’obliger à préciser mes constats.

Machine à écouter les conversations
Machine à écouter les conversations

Mais globalement est-ce que cela modifie les conclusions ? Même intuitivement, ou en analysant rapidement mon fil d’actualité Twitter, j’aurais dit que la grande majorité des commentaires sur Twitter sont pro-étudiants.

Je ne suis pas intéressée aux conclusions de cette étude, mais uniquement à la démarche employée. Une telle étude peut être d’une grande utilité pour les médias ou les organisations qui désirent se positionner dans ce débat.  Cependant, la démarche doit être rigoureuse et l’analyse doit aller au-delà de ce que l’on peut déjà percevoir par la simple lecture des flux sur Twitter. On peut toujours remettre en question ou discréditer une étude dont la méthodologie n’est pas rigoureuse. J’ai pour preuve, la controverse qu’ont suscité les sondages récemment publiés à propos de la loi 78.

Par ailleurs, si la plupart des échanges semble prendre une couleur particulière, c’est probablement parce qu’il y a des acteurs plus déterminés, plus présents et qui maîtrisent les outils du web social. Ceci dit, bien des échanges sur qui ne sont pas marqués par des mots clic comme #manifencours, auront échappé à cette analyse.

Le constat de cette étude ne fait que renforcer la perception de polarisation, ce qui apporte peu aux organisations et individus qui souhaiteraient passer un message divergeant. Elle aurait pu relever les groupes qui ont des échanges démontrant des positions plus nuancées. Ce sont ces groupes qu’il faudrait cibler avec des contenus ayant une valeur informationnelle et non ceux qui n’échangent que des opinions, sans aucun ouverture à la discussion.

Un des objectifs de l’analyse des échanges sur les médias sociaux est le choix des conversations parmi lesquelles se positionner en diffusant de l’information utile.

Mais, même si je ne suis pas sûr de ce qu’ils voulaient dire exactement dans leur conclusion, je pense qu’il n’y avait pas de réelle stratégie. Il y avait des tactiques brillamment menées, des opportunités rapidement exploitées, de la coordination extrême, une capacité à gérer le chaos, etc. Je ne sais pas si on peut parler de stratégie et peut-être, que d’une certaine façon, la stratégie est morte (On dirait un mauvais titre de Wired ; )

Je ne crois pas que la stratégie soit morte, elle est simplement réinventée dans le contexte numérique (bottom up plutôt que top down). Les médias sociaux sont désormais un élément incontournable de l’écosystème de l’information. Savoir les utiliser est stratégique et beaucoup plus efficace qu’une page de publicité payée dans les journaux.

je ne comprend pas ton point sur la police…

Concernant le Service de police de la Ville de Montréal, cette étude a remarqué sa présence. Il n’était pas nécessaire d’employer une application de recherche pour se rendre compte de la fréquence de l’acronyme spvm dans le flux #manifencours (et même hors du flux) pendant les heures d’activité du compte Twitter du SPVM (et, également, hors de ses heures d’activité). Ce qui est remarquable, c’est que ce compte est au centre des conversations et qu’il constitue un exemple de maîtrise des médias sociaux (voir mon précédent billet). Contrairement au gouvernement du Québec, le service de police a compris le changement socio-culturel en cours avec le numérique et s’est rapidement fait conseiller (d’excellente façon, d’ailleurs). Bien des marques qui sont établies depuis quelques années sur les médias sociaux ne lui arrivent pas à la cheville pour sa réactivité, son professionnalisme et la valeur de l’information échangée.

Mise à jour (9 juin 2012)

Melissa Carroll anime le compte du SPVM depuis novembre 2011 et est une autodidacte des médias sociaux. Voir cette entrevue réalisée par Marie-Annick Boisvert : Portrait de gestionnaire de communauté : Melissa Carroll.